Mali : le déni d’informer

« On a pas fini d’entendre parler des djihadistes dans le nord du Mali, croyez-moi. Le redéploiement des troupes étrangères va certes progressivement être revu à la baisse, puisque la France a pris l’engagement de progressivement retirer ses 4.000 soldats déployés là-bas. Mais au moins un quart des troupes va demeurer sur place pour un bon moment encore, et ce pour deux raisons. D’abord, pour éviter de laisser le champ libre aux islamistes de Mujao et d’Aqmi qui ont la capacité de se remobiliser très vite. Et surtout pour ne donner aux populations locales le sentiment qu’elles sont injustement abandonnées par la France, connaissant la faiblesse du dispositif malien. »
Ses mots, prononcés sous couvert d’anonymat par un bras droit de l’amiral Guillaud, chef d’état major des armées en France, donnent toute la mesure du conflit qui a débuté le 11 janvier avec le lancement de l’intervention franco-africaine pour reconquérir le nord du Mali qui était occupé par des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda. Ils s’inscrivent aussi dans la parfaite lignée du dernier bilan officiel dressé par le commandement militaire à Bamako qui a fait état ce mercredi de 63 soldats maliens tués, contre près de 600 pertes essuyées du côté des islamistes. A cela s’ajoutent aussi la mort de deux soldats togolais et d’un militaire burkinabé décédés, semble-t-il, de manière accidentelle. Le Tchad évoquait pour sa part en février dernier la perte de 26 hommes, et fait toujours état n’a pas été en mesure depuis de fournir un nouveau bilan. Quant à la France, elle fait toujours état de cinq soldats tués dans ses rangs, selon les dernières informations officielles communiquées par le ministère de la défense.

Rien à voir, en somme, avec le dispositif éclair imaginé aux premières heures du conflit par les pontes du renseignement militaire français, qui tablaient sur des opérations expédiées en deux mois tout au plus… Il faut dire qu’au cours des deux premières semaines de l’intervention franco-malienne, les islamistes ont systématiquement choisi de se replier sans opposer la moindre résistance des villes tombées auparavant sous leur contrôle, à mesure que l’avancée des troupes françaises et maliennes vers les villes du nord, comme ce fut le cas à Konna, puis Tombouctou et Gao, se faisait significative.

Alors que s’est-il passé au juste et surtout est-il légitime à cette heure de parler de ratés sur le plan militaire ? Une chose est sûre, au-delà du simple conflit armé, la guerre a également lieu sur le terrain de l’information, ou plutôt celui de la désinformation, avec des journalistes constamment mis à l’écart des opérations de grande envergure, et une incapacité pour l’ensemble des reporters envoyés sur le terrain de pouvoir rendre compte clairement de la situation, en particulier en matière de pertes civiles, qui restent officiellement nulles.

Certes, la reconquête des principales villes du nord du pays s’apparente clairement à un succès opérationnel, mais le terrain reste particulièrement miné au nord-est du Mali, ainsi que dans le massif des Ifoghas et la région de Gao, la plus grande agglomération du Nord où la crainte d’attaques-suicides donne des sueurs froides aussi bien aux populations locales qu’aux militaires déployés sur place.

Une peu plus de deux mois après notre passage au Mali, force est de constater que l’accueil réservé aux journalistes reste sensiblement le même. Le 13 janvier dernier, alors que nous envisagions de nous rendre vers Konna et Mopti où les combats faisaient toujours rage, un bataillon de soldats maliens stationnés au barrage de Sévaré-Mopti a sévèrement refoulé notre équipe aux portes de ce verrou du centre, avec pour consigne ferme et immédiate de rebrousser chemin en direction de Bamako et ne jamais tenter l’expérience à nouveau.

Dimanche, la même mésaventure a été vécue par Liseron Boudoul, une consœur travaillant pour la chaine privée française TF1, refoulée manu militari vers Bamako alors qu’elle tentait de regagner le Nord où elle prévoyait de réaliser une série de reportages sur les réfugiés. Une zone certes « très dangereuse », comme n’ont pas manqué de lui rappeler les services de police, mais dans laquelle vivent pourtant de nombreuses populations mises à l’écart des caméras, et dont les témoignages apportent de ce fait un éclairage très précieux.

Joint par téléphone ce mercredi matin, ce colonel de l’armée malienne, qui préfère s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, nous confirme que la décision de systématiquement mettre à l’index les journalistes maliens et étrangers émane bien du commandement militaire français : « Personnellement, je ne vois pas d’objection particulière à ce que des journalistes tentent de faire leur travail au plus près des opérations, à partir du moment où leur sécurité est garantie, et que leur présence ne fait courir aucun danger aux habitants. (…) Le problème, c’est que les hauts responsables de l’armée française ne voient pas tout à fait les choses du même œil. Pour eux, leur présence sape le bon déroulement des opérations qu’ils ont choisi de garder secrètes. Nous, nous été mis devant le fait accompli, avec pour obligation de nous plier à ces recommandations, pour ne pas dire ces ordres. »

L’armée française continuera-t-elle sur cette voie alors que le conflit s’enlise au nord et qu’à Bamako, la capitale, le triomphalisme n’est toujours pas de mise ?

Réponse dans les prochaines semaines.

Farouk Atig

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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