Mali, une guerre sans clichés ?

 

Ce que nous disent les images de cette drôle de guerre.

Pour dire la guerre, recréer sa violence par l’image semble une nécessité. Susciter le choc pour servir l’événement, au prix de consentir à faire du sensationnel, sensibilise indéniablement le public visé.  Mais, alors que le conflit malien s’éternise, les images que renvoient les médias de cette guerre du désert n’ont qu’un faible impact sur l’opinion. Le grand public, en mal d’images de combats, est déçu des rares et fades photographies que les reporters sont en mesure de leur fournir. Car une fois sur place, les journalistes se trouvent souvent cantonnés à un rôle d’auxiliaire de l’armée, ce qui les empêche de mettre au jour, à travers leurs clichés, toutes les dimensions du conflit. Peut-on pour autant parler d’une guerre sans images ?

Des reportages sous contrôle de l’armée

La Grande Muette tient à gagner la bataille du bruit, quitte à mettre en retrait la presse manu militari. A cette fin, l’état-major a placé la communication au cœur de son intervention. L’opinion doit être informée, pourvu que ce soit par les bons canaux de diffusion. Pour atteindre son objectif, l’armée s’est dotée de son propre service médias, chargé des informations concernant l’opération Serval. Les forces françaises disposent de leurs propres films bruts, soit 91 sujets d’une minute trente à trois minutes, ainsi que de leurs photos, soit 400 clichés au total (source : Stratégies, 29/03/2013).

Militaires maliens stationnés à l’entrée du pont de Marakala. Image : Intégrales Productions.

Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Stratégies le 13 mars 2013, le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l’état-major des armées, rend raison de l’importance pour l’armée de maîtriser la communication du conflit malien : « Nous gérons la communication opérationnelle. Elle a pour impératif qu’il n’y ait pas d’information qui puisse nuire au succès des opérations et, in fine, à la sécurité des soldats français. » L’officier considère donc toute autre source d’information comme porteuse de risques. En clair, les journalistes sont autorisés à venir à condition qu’ils consentent à agir en subsidiaires de l’armée française. Pas question qu’ils détournent l’opinion de l’idée que la guerre au Mali est pleinement légitime. C’est pourquoi le commandement définit la trajectoire des reporters et encadre leurs travaux. L’armée indique avoir embarqué ou « embedded » près de 400 journalistes de plus de 180 médias. Ainsi cadrés, les journalistes ont un faible champ d’action. Ces derniers se trouvent en effet contraints de couvrir, sur un  espace qu’ils n’ont pas eux-mêmes délimité, des événements qui sont en réalité déjà « recouverts » par le service média de l’armée. D’où le manque patent d’esprit critique dont souffre la majeure partie des reportages relatifs au conflit. Le reportage « embedded » fait légion. Sur toutes les chaînes de télévision, la pluralité des champs de vision semble inconnue au bataillon.

Un défi d’un genre nouveau

Non seulement l’armée diminue le nombre d’images qu’il serait possible de prendre, mais de surcroît, les occasions de varier les prises de vue sont réduites. En effet, le théâtre des opérations au Mali se prête peu au grand spectacle. Guerre du désert. Conflit où l’ennemi est peu visible. Région où la population civile est dispersée. Surtout, il s’agit essentiellement d’une guerre de renseignements. « On a vu une conjonction de moyens de renseignement satellitaires, aéronautiques, de drones, de moyens d’écoute, absolument sans précédent s’agissant d’une opération commandée par la France », souligne François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique. Des éléments peu propices à des photographies civiles.

Une situation qui met les journalistes face à un défi d’un nouveau genre : il n’est plus seulement question de se demander quelles images l’on peut montrer, mais quelles images l’on peut trouver. Le reporter est brutalement ramené à sa tâche première, à savoir l’investigation.

Blindé français stationné sur la route de Konna. Image : Intégrales Productions.

Une image sans clichés de la guerre

A première vue, la couverture médiatique du conflit malien est décevante, tant elle est lacunaire. Mais ce conflit qui s’éternise n’est-il pas lui-même à l’image de la situation inconfortable dans laquelle sont enlisés les reporters ? La France voulait une guerre rapide et efficace. Pourtant, après plus de deux mois de conflit, les drapeaux tricolores, flétris sur les sables mouvants, attendent encore cet air vif qui fait flotter les glorieux étendards. Les reporters ne sont-ils pas étourdis par le climat pesant de cette guerre lancinante ? Et si, paradoxalement, les contraintes auxquelles sont soumis les journalistes installaient de facto les conditions d’une couverture réaliste de cette « drôle de guerre », et à plus forte raison, de tout confit armé ?

Les photos respirent l’ennui ? Cette guerre ne pourrait pas tenir de scénario à un un film. D’ailleurs, nulle guerre n’a d’obligation d’intensité. Il y a des moments de tension, et des moments où l’action est distendue. Des morts, mais aussi des temps morts. Le temps de la guerre ne correspond pas à une suite logique d’événements. C’est une durée non segmentée, indivisible. On ne peut y extraire, si ce n’est artificiellement, des séquences déterminées et distinctes les unes des autres. Les photos sont peu évocatrices ? Mais, doit-on produire une image pour qu’elle en génère d’autres ? Les photographies que l’on a pu voir du conflit malien ne renvoient à rien d’autre qu’à la situation où elles ont été prises. Et nous ôtent du même coup les œillères qu’avaient posés sur la guerre nos lots de phantasmes : enfants en pleurs, jeunes hommes défunts paumes tendues au ciel, cités millénaires qu’écroulent en un instant les salves ravageuses des fusils. Des images dont l’absence de composante sensationnelle évite de générer tout enthousiasme malsain. Nous ne sommes pas placés au cœur du conflit. A nous de nous demander si l’on peut dire d’un conflit qu’il a un cœur.

Lorsqu’on allume la télévision ou qu’on feuillette les journaux au sujet du Mali, on est vite excédé : « Que se passe t-il ? », « A quoi bon cette guerre ? » Par leur pauvreté picturale, la majorité des photographies prises au Mali ces derniers mois ne montrent rien d’autre que la guerre dans l’insolente absurdité de sa platitude. Et interroge implicitement sa légitimité.

 Clara Schmelck

 

Toujours sur la guerre au Mali :

Mali, comment ça va la guerre ?

Ils sont le Mali (instantanés)

Mali : en allant vers le nord (récit de tournage)

La guerre au Mali n’aura pas lieu

Notre reportage au Mali aux premières heures du conflit (Radio Télévision Suisse)

The following two tabs change content below.
Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

Vous pouvez également lire