Les Grecs ont-ils perdu le fil d’Ariane ?

Le 8 août dernier, Antonis Samaras rendait visite à Barack Obama. Un déplacement qui a suscité peu d’espoirs de la part d’une population lasse de ne pas être en mesure d’enrayer la plus importante crise économique que subit le pays depuis son indépendance. Les Grecs auraient-ils perdu le fil d’Ariane ?

Clara Schmelck, vous êtes notre envoyée spéciale à Athènes.

Clara Schmelck, envoyée spéciale à Athènes
Clara Schmelck, envoyée spéciale à Athènes

Farouk Atig, Intégrales Productions :

Malgré le sauvetage de la Troïka qui l’a plongée dans une sévère cure d’austérité et des chiffres plutôt encourageants, la Grèce ne semble pas en mesure de sortir du marasme économique dans l’immédiat. Au point qu’il est même question désormais (selon une note secrète de la Bundesbank) d’allouer une nouvelle aide financière au pays. Comment cela se traduit-il au quotidien pour les Grecs ?

CS, envoyée spéciale à Athènes :

En dépit des allocations financières que la Troïka et la presse internationale intitulent « plans de sauvetage » de la Grèce, le pays souffre de difficultés économiques patentes, qui se répercutent de manière de plus en plus concrète dans l’économie du pays. Quelques indicateurs :
– Les prix de l’immobilier sont au plus bas depuis 30 ans. Dans la capitale, un trois pièce de 90m2  se négocie autour de 400 euros mensuels. Les boutiques de services superflus ferment les uns après les autres ( instituts de beauté, concepts-stores…)
– Le parc automobile vieillit, du fait que les jeunes conducteurs achètent systématiquement des autos d’occasion.
– Le travail ouvertement non déclaré augmente (vendeurs mobiles…)
– Le taux de chômage des actifs de moins de vingt cinq ans atteignait 58% en juin 2013. En conséquence, les enfants en âge d’entrer sur le marché du travail et qui peinent à trouver un emploi vivent avec leurs parents, lesquels accueillent eux-mêmes parfois leurs propres parents chez eux. Il est de plus en plus courant que deux, voire trois générations se côtoient sous le même toit, et cela même au sein des milieux aisés.

 

Photo : Intégrales Productions
Photo : Intégrales Productions

La crise semble donc s’installer insidieusement dans la vie quotidienne des gens, et occupe avec toujours plus de prégnance les esprits. Au point où certains grecs évoquent, au sujet de la crise économique, un « occupant invisible ». On savait que les nazis finiraient par partir. On attendait le jour où les colonels allaient être renversés. Mais, cette fois, c’est une sorte de force hostile qui s’empare du pays avec une hubris jamais connue. Démesure. Délire. Pour combien de temps ? Comment lutter contre cette destruction déloyale, qui agit en fantôme ?

Photo : Intégrales Productions
Photo : Intégrales Productions

En Grèce, tout le monde s’accorde sur la nécessité de réduire le rôle des institutions. Alors qu’il m’emmenait vers les locaux de l’ERT, un chauffeur de taxi m’explique que le gouvernement est sous le joug de l’UE et les Etats-Unis. Pour preuve, il me montre du doigt le Parlement Hellénique, et m’énonce, dans un français grinçant : « 300 connards vivent là dedans. Et Samaras est parti demander de l’argent à son ami Obama. ». A l’opposé de la tendance anarchiste, l’option libérale. A la rédaction de The Paper, dans le quartier des ambassades, la crise grecque est perçue comme un mal national. « Là où on a besoin de 20 fonctionnaires, il y en a 100 ici. », soupire un des journalistes.
Parmi l’élite politique qui travaille de conserve avec Bruxelles, c’est l’attitude de l’Allemagne qui suscite l’incompréhension, au regard du tribut culturel qu’elle doit à la civilisation hellénique.

F.A :

Cette crise a également ébranlé des institutions comme la télévision nationale, privée d’émettre durant quelques jours (faute de solution financière) et qui a pu reprendre ses activités sur décision de justice. Avez-vous pu ressentir une certaine amertume ou méfiance auprès de nos confrères grecs ? Et cette décision vous semble-t-elle pérenne ?

CS :

En réalité, la situation administrative de l’ERT n’est pas claire. Rien ne paraît pérenne, en cette période transitoire. Si le siège principal de l’ERT qui se situait à 20 kilomètres d’Athènes est officiellement fermé, la plus grande partie du per­son­nel de l’ERT conti­nue à tra­vailler depuis les stu­dios d’Athènes. L’EBU dif­fuse en strea­ming sur son site inter­net et Okeanews, une plate-forme libre qui se veut  » en soli­da­rité avec les jour­na­listes et les citoyens grecs ».

Photo : Intégrales Productions
Photo : Intégrales Productions

Naturellement, depuis le 11 juin, date à laquelle Samaras, sans céder à aucune influence que ce soit, (source confidentielle), a décidé de débrancher manu militari la télé publique, l’ensemble des journalistes et des employés de l’audiovisuel à l’ERT s’inquiète, faute d’avoir quelqe perspective de reclassement. C’est pourquoi certains pensent à un départ à l’étranger. Quant au sentiment d’amertume, notons que nos confrères grecs préfèrent l’opiniâtreté à l’épanchement.

F.A : On imagine qu’un secteur comme la culture a du particulièrement souffrir de ces fragilités. Les artistes ont-ils trouvé la parade et leur existence même est-elle menacée ?

La culture, qui n’est pas ici considérée comme un « secteur », mais réellement comme le fondement de la nation, n’est pas ébranlée, bien que les structures culturelles le soient. Par exemple, les musées nationaux réduisent leur effectifs. En haute saison, certaines salles du musée archéologique d’Athènes étaient inaccessibles au public, faute d’employés pour les surveiller et de personnel de ménage pour les entretenir. Toutefois, au vu de la diversité de l’offre, l’existence des artistes ne semble pas menacée. Dans tout le pays, la saison culturelle reste ponctuée de programmations théâtrales très riches, de festivals en plein air, d’expositions picturales. Quand bien même les postes se raréfient et les coupes budgétaires sévissent, les acteurs de la vie culturelle du pays sont manifestement prêts à déployer l’énergie nécessaire en vue de maintenir l’offre culturelle à flot. Gardons à l’esprit que les Grecs estiment leur patrimoine culturel comme leur trésor commun. Une façon de relativiser la conjoncture économique et ses effets sur la vie de tous les jours, et d’actualiser la richesse éternelle de la Grèce. A cet égard, la culture, ciment de l’unité nationale hellénique, renforce les solidarités en temps de crise.

Photo : Intégrales Productions
Photo : Intégrales Productions

Mais, l’évocation commune d’un passé glorieux ne dissipe pas les craintes et la défiance devant l’avenir du pays. Lors du congrès mondial de philosophie qui se tenait à Athènes du 4 au 10 août, le premier ministre, qui fut auparavant ministre de la culture, a volontiers présenté la philosophie, ce « mode de vie sage », en tant que moyen d’éluder la crise économique. Applaudissements charmés du côté des conférenciers américains. Sifflets des congressistes helléniques. Signe que les Grecs ne sont pas prêts à moyenner leur richesse : la culture n’est pas un moyen, elle est une fin. Un accomplissement. Non, les Grecs n’ont pas perdu le fil légendaire.

Intervention d'Antonis Samaras au 23ème congrès de philosophie, Athènes (Photo : Intégrales Prod.)
Intervention d’Antonis Samaras à l’occasion de la séance d’ouverture du 23ème congrès de philosophie, à Athènes
(Photo : Intégrales Productions.)
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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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