Syrie : Twitter, nid de l’ignorance collective

Alors que la communauté internationale reste divisée sur la question d’une éventuelle intervention militaire en Syrie, le débat tiraille l’opinion publique, dont la voix s’est déplacée sur les sites communautaires, à l’instar de Twitter . 

3 insurgés postés devant un immeuble contrôlé par l'ASL. Photo : Intégrales Productions.
3 insurgés postés devant un immeuble contrôlé par l’ASL. Photo : Intégrales Productions.

Twitter, salves de souvenirs, mémoire vide

Dans une interview accordée au journal Le Monde le 27 août, le président de la République François Hollande expliquait qu’il estimait ne pas devoir exclure une intervention française en Syrie, arguant qu’en faisant l’usage d’armes chimiques, le régime de Bachar Al Assad avait violé les règles internationales en vigueur. De concert avec le chef de l’état major des armées, Hollande a fait valoir que ce crime ne pouvait rester « impuni ». Mots prononcés, tweets aussitôt envolés. Alors que la communauté internationale reste, du moins pour quelques jours encore, suspendue à la décision de l’ONU, Twitter, lui, a déjà rendu public son avis sur la question. Et, lorsqu’il est question de conflit armé, l’on s’aperçoit, non sans effroi, que l’oiseau bleu n’est pas une colombe de paix.

Depuis dix jours, le site communautaire est le réceptacle d’un salmigondis d’amalgames passionnément violents. Les salves molles des dénigrements saturent le mot dièse « #Syrie ». Ces diatribes visent confusément tour à tour François Hollande, Bachar al-Assad, toutes les mouvances islamistes confondues, l’US Army,… Dix années d’imagerie politique télévisuelle défilent ainsi continuellement en un flux de cent quarante caractères éclatés. Signes sans substance. Car mémoire vide est le souvenir non examiné. A cet égard, l’image est le plus bas degré de science. Le réseau social, en se faisant le perpétuel relais de clichés non analysés,  devient la chambre d’enregistrement de cette ignorance collective rétive à tout effort de mémoire. Le média participatif rassemble une population prête à ramasser n’importe quel débris de l’Histoire, pourvu qu’il paraisse s’accorder à l’actualité. Peu étonnant que ce soit sur Twitter et sur Facebook que l’on retrouve, comme arrachés aux pages d’illustrés daté de la guerre froide, un fatras de théories du complot. Lu récemment sur Twitter, cet énoncé inepte au point de vue de la science des relations internationales :  « En intervenant contre Assad, la France s’abaisse aux pieds du Qatar ». Les procédés restent identiques, consistant dans une personnification des Etats par un usage analogique du corps. A la faveur de l’audience dont jouissent les sites communautaires, de tels échafaudages, que l’on souhaiterait tapis sous des pages confidentielles du web, sont haussés au même degré de visibilité que les articles réfléchis au sujet de la question syrienne. Une illusion d’optique qui n’est pas sans présenter quelque danger pour la formation de l’opinion publique.

Tweets au sujet de l'entretien accordé par Hollande au journal Le Monde (photo : Intégrales Productions)
Tweets au sujet de l’entretien accordé par Hollande au journal Le Monde (photo : Intégrales Productions)

Des limites du débat immédiat sur les sites communautaires

Outre la qualité du débat, c’est son aspect précipité, voulu par les réseaux sociaux, qui pose fondamentalement problème. Sur Twitter, la tendance tacite est de montrer que l’on a la répartie pour offrir une réponse ou une solution valide et valable à toute question posée. Or, on ne peut pas parler de la Syrie comme on lance un sondage d’opinion sur Valls et Taubira. Ce problème, parce qu’il relève du droit international, convoque en premier chef la voix de journalistes qui maîtrisent bien ce dossier en particulier, et d’experts en relations internationales. Ce dont on ne peut parler, mieux vaut le taire en tweets. Et attendre de s’instruire avant de prononcer quelque point de vue. Car une opinion, même raisonnable, ne vaut pas un discours vrai, et le partage immédiat sur les réseaux d’une question de si haute importance montre bien les limites du média participatif à faire sien tout sujet sous le mode binaire du pour ou contre. Dans le cas actuel où se pose, de manière de plus en plus pressente, l’éventualité d’une guerre internationale au Moyen-Orient, opposer abstraitement ingérence et exercice de la souveraineté des Etats au nom d’un idéal de maintien de la paix ne conduit ni aux armes, ni au statut-quo, mais seulement à un roucoulement infini de tweets.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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