La critique médias, un exercice très franco-centré ?

Depuis que la presse s’est muée en une infinité de flux où se débite à toute vitesse l’information mondiale, la question des sources se pose plus urgemment que jamais. Remonter, recouper, prendre le temps d’analyser.

En dix ans, la critique médias, qui restait auparavant le domaine d’une presse spécialisée, s’est généralisée dans le paysage journalistique hexagonal. Mais comment se fait-il qu’elle reste encore  à tel point franco-centrée ?

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Turbulences numériques et pratique du « journalisme médias »

Depuis le début des années 2000, les plus grands quotidiens français d’information généraliste se sont flanqués de rubriques «médias», avant tout dévolues au traitement de ce qui fait l’actualité de la presse et de l’audiovisuel. Il s’agit là d’une question de politique intérieure (politique culturelle, politique de l’économie du numérique…). Logique donc, d’y lire des nouvelles presque exclusivement françaises.

Mais, au delà de cela, la plupart des rubriques médias consacrent à présent un volet «critique médias». Ce n’est plus un événement qui est directement passé au crible, mais la façon dont il est traité par un autre média, qu’il s’agisse d’un média professionnel (TV, radio, presse), d’un pure player, ou d’un réseau social.

Ce méta-discours, qui pourrait sembler abstrait — puisqu’il s’abstrait effectivement de la réalité pour en critiquer la façon dont elle est perçue et relatée, intéresse pourtant visiblement de plus en plus les lecteurs, téléspectateurs et internautes.

Médias le magazine, sur France 5, se propose tous les dimanches de «décrypter le nouveau paysage médiatique et les enjeux auxquels sont confrontés les organes d’information» (source : France Télévisions»). Dimanche dernier, l’émission a battu un record d’audience, atteignant 3,2% de part de marché.

Etonnant ? Pas vraiment. Le téléspectateur voit dans ce type d’émission la possibilité de pénétrer les arcanes du réseau systémique qu’est, à leurs yeux, l’univers des médias. Dimanche 1er décembre, par exemple, le débat portera sur une émission de télévision diffusée sur M6, quelques jours auparavant : «Le dernier « Zone Interdite » reportage ou bidonnage ?».

Cette habitude des médias à se regarder entre-eux flatte en même temps une certaine curiosité narcissique de celui qui en consomme le contenu. On regarde à l’intérieur de ce qu’il voit lui aussi. On l’aide à se distancer, mais de manière ludique, et sans lui imposer d’aller plus loin, de lui indiquer des voies nouvelles. D’où le fait que la critique média reste très franco-centrée : elle n’est que le reflet de ce que lisent et visionnent couramment les gens qui vivent en France.

En ne suggérant aucun changement de point de vue, mais simplement de lire l’info de manière plus éclairée et plus approfondie, le discours des médias sur eux-mêmes n’indique pas d’autres canaux d’information que ceux que connaissent déjà les « consommateurs ». Difficile, donc, de les emmener au delà des frontières.

La critique médias au bénéfice d’une vision plus complète de l’information

Plutôt que de proposer un discours qui discute d’un discours (les médias vous parlent des médias), il s’agirait de replacer l’actualité elle-même au coeur de la critique médias. Un retour aux sources qui passe nécessairement par l’analyse de la presse internationale, et par un décentrement de point de vue. Moins centrée sur elle-même, la critique médias se ferait du même coup moins franco-centrée.

Souvent, quand la presse française amène un sujet relatif aux médias et au numérique pour évoquer un projet de loi ou de subvention, elle ramène le sujet à une question de politique intérieure, ce qui s’avère réducteur.

A contrario, la chronique médias de RFI, réalisée en partenariat avec l’hebdomadaire Stratégies, s’attache à décentrer certains dossiers médias de leur «moment» proprement français, pour faire comprendre à l’auditeur leur dimension pleinement internationale. La francophonie, par exemple, avant de présenter une opportunité pour l’industrie des médias français, correspond à un phénomène vivant, dont l’analyse passe par un regard sur la presse internationale francophone. («La francophonie, le nouveau grand marché des médias», sur les ondes de RFI le 23/11/13).

Aussi, certains pays jouissent d’une meilleure couverture que d’autres. Cette hiérarchisation médiatique, qui consiste à accorder plus d’importance à telle ou telle zone du globe, nous laisse penser à tort qu’il se passe davantage de choses intéressantes dans certains pays que dans d’autres.

Le site The Atlantic s’est appuyé à une carte réalisée par The Oxford Internet Institute’s Geography Blog pour créer une infographie composée de diagrammes circulaires exprimant la distribution géographique des événements relatés par les grands médias du monde. Globalement, les Etats-Unis, la Russie, Israel et la France ont fait l’objet d’une couverture médiatique disproportionnée depuis 1970. C’est ainsi que depuis trente ans, conclut l’étude, nous recréons des hiérarchies de valeur basées sur un aperçu perforé du monde.

A cet égard, INA Global, « la revue de industries créatives et des médias», créee en novembre 2013, s’attaque à ce préjugé, en rééquilibrant les points de vue. Sur son site, figurent des infographies thématiques qui prennent en considération des data mondiales. En outre, des spécialistes internationaux ciblent des problématiques en fonction d’un espace, ce qui permet d’aborder des questions a priori générales de manière concrète, à l’instar du dossier « Tendances numériques sur la côte Ouest des Etats-Unis», le 04/11.

Enfin, les médias font encore souvent preuve d’ethnocentrisme.
Dans un article du Guardian daté du 28/11/13, le journaliste nigérian Remi Adekoya déplore la tendance des médias occidentaux à préférer évoquer l’Afrique au prisme de nouvelles négatives (guerres, catastrophes humanitaires, pauvreté).

La critique médias peut pourtant agir sur cet atavisme, en donnant la parole, non pas à titre exceptionnel, mais de manière systématique, à des journalistes qui exercent dans des pays dits du Sud.

Cela à condition que ces prochaines années, les pionniers du journalisme médias soient suivis.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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