Une BBC à la Française, est-ce bien raisonnable ?

Mercredi 18 décembre 2013, la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, a évoqué l’impératif d’un rapprochement des sites internet de France Télévisions et de Radio France.

En amorçant une fusion des contenus numériques de la radio et de la télévision publiques, le gouvernement souhaite t-il former un pôle médias public unique, à la manière de l’exemple britannique que fournit la BBC ?

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Au programme : mettre en synergie entre les sites internet Radio France/France TV

Interrogée par iTélé mercredi 18 décembre, la ministre de la culture et de la communication française a nié toute véléité d’amarrer le Paquebot devant la Maison de la Radio. Il n’y aura pas de fusion entre France Télévisions et Radio France. Le temps de l’ORTF est bel et bien révolu.

Cependant, Aurélie Filippetti avalisait le texte relevé sur le site de l’Elysée : « Nous pourrions par exemple imaginer que France Télévisions et Radio France puissent un jour assembler leurs contenus internet dans un grand service audiovisuel numérique.»

En comité plus restreint, la ministre estimait que la France serait bien inspirée de prendre exemple sur la BBC, qui réunit en un seul site internet radio et télévision. Ecorchant au passage le nombre de chaînes que compte France Télévisions, la ministre n’a donné aucun élément de comparaison entre l’audiovisuel public français et britannique.

La structure publique française permet-elle d’appliquer un paradigme numérique semblable au modèle qu’offre la BBC sans risquer un appauvrissement culturel ?

Le modèle BBC : un regroupement TV et radio, dans une logique de réseau

A la BBC, on raisonne historiquement en terme de « Network». Depuis 1922, le réseau audiovisuel s’entend comme un système où les unités qui le composent interagissent sur un même plan de réalité. Dans cette optique, la télévision et la radio ne sont pas deux supports indépendants qu’il est envisageable de connecter artificiellement entre-eux, mais deux aspects co-extensifs de l’écriture de l’information.

A l’heure où le public privilégie de plus en plus l’expérience multi-écrans, le modèle de la British Broadcasting Corporation semble s’accorder avec les usages contemporains. Le support média n’est plus une fin en soi, ni même l’objet d’une préférence ou d’une habitude : de moins en moins, les gens allument la radio simplement pour entendre la radio. Ils l’écoutent lorsqu’ils veulent obtenir une information sur un sujet donné, et qu’il se trouve qu’une émission le traite précisément.

Ce comportement rationnel, qui accorde le primat au contenu plutôt qu’au contenant, privilégie la consultation de la radio via les sites internet des chaînes et activer les «replay». Démarche identique concernant la télé-vision des contenus de l’information.

De surcroît, la stratégie « Quatre écrans » de la BBC Online (ordinateurs, smartphones, tablettes et téléviseurs) place la plate-forme internet au coeur du dispositif global du service audiovisuel public britannique : le site redistribue les visiteurs sur les chaînes télé et radio, lesquelles alimentent celui-ci en continu. Impensable, donc, de fendre son coeur en deux.

Le modèle français mis à mal par une fusion des sites France TV/Radio France ?

Outre-Manche, l’amalgame radio/TV n’est pas dans la culture de l’audiovisuel public. Une soudaine fusion artificielle des deux sites français peut s’avérer nuisible pour la liberté d’expression des journalistes : « Décidément, les politiques n’ont qu’une obsession : la télévision. Et ils voudraient maintenant que la télé cannibalise nos sites, nos réécoutes et nos podcasts ? », s’insurge le SNJ Radio France, déjà dépité par l’importance croissante de la vidéo sur le site de Radio France.

Il faut rappeler que le budget annuel de la BBC budget culminait à 6 milliards d’euros en 2013, tandis que les budgets cumulés de France TV et de Radio France n’atteindront pas le milliard d’euros en 2014 (le PLF 2014 prévoit que 40 000 d’euros soient dévolus à chaque maison). « Budget, effectifs, nombre de chaînes, investissements dans le numérique… tout est deux fois plus important de l’autre côté du Channel», observe l’hebdomadaire Challenges (23/02/2013).

Or, si elle n’est pas soutenue par un budget conséquent, la fusion des sites de Radio France et de France Télévisions risque de produire un site audiovisuel au rabais, sans audace et sans originalité. Un pis-aller par rapport à la pluralité d’idées et de perspectives qu’offre à ce jour la dualité France Télévisions/Radio France, visible sur l’internet.

Quid de la liberté de création pour les producteurs, les réalisateurs, les journalistes ?

Comme le remarque par exemple Pascal Rogard, directeur de la SACD, Radio France parle beaucoup du cinéma, mais « le cinéma numérique sur France TV, c’est zéro pointé ! ». Faute de consensus, le site Radio France TV serait donc tenté de zapper le septième art, ce qui représenterait un dommage culturel non négligeable pour l’audiovisuel public français.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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