Centrafrique :  » les médias font du cubisme »

La guerre, situations et acteurs

Sous le Feu, sorti aux éditions Tallandier le 09 janvier 2014, paraît alors qu’une opération de stabilisation en Centrafrique d’une ampleur croissante mobilise l’armée française et préoccupe l’opinion. L’ouvrage du colonel Michel Goya contraste avec les récents traitement médiatiques du combat, où le fait militaire est souvent traité hors du point de vue des individus engagés sur les théâtres des opérations.

La presse et la télévision seront t-elles amenées à parler davantage des conflits armés en terme de situations et d’acteurs ?

Rencontre avec l’auteur de Sous le feu. Breveté de l’Ecole de guerre et docteur en histoire, l’homme a servi en unités de combat et participé à plusieurs opérations extérieures, avant de devenir analyste des conflits actuels et conseiller du chef d’état-major des armées.

Michel Goya
Michel Goya

« A l’intérieur de cette zone de contact qui déforme les hommes »

Clara Schmelck, Intégrales Productions : Pourquoi avoir choisi d’axer votre ouvrage sur le caractère extra-ordinaire de la situation de combat, en tant qu’elle génère des comportements individuels et de groupe inédits ?

 Colonel Goya, auteur de Sous le feu : J’ai voulu me placer dans la bulle de violence, à l’intérieur de cette zone de contact qui déforme les individus. Que se passe t-il en situation de stress intense ? Comment les hommes et les femmes réagissent face au danger propre à une situation dialectique ?

Sous le feu, la vitesse de décision et la rapidité d’exécution diffère selon les individus, selon que la tension les stimule ou les inhibe. Le combat est aussi une expérience marquée par des contradictions, auxquelles chacun réagit différemment. La première consiste à vivre un quotidien exceptionnel qui se répète chaque jour.

De plus, il faut comprendre que la guerre présente une situation inédite de vie en commun. Un chef doit se demander en permanence comment coudre les hommes ensemble. J’analyse de l’intérieur les comportements de groupe que génèrent les situations de combat, c’est à dire la façon dont les combattants se positionnent entre-eux.

« Les médias parlent du combat, mais peu des combattants »

 CS : Depuis le 5 décembre, les médias relatent l’intervention française en Centrafrique soutenue par l’ONU. La presse, la télévision et la radio débattent des stratégies, évoquent la logistique, recensent les soldats morts, mais parlent finalement peu des individus. Parler d’un combat seulement comme d’un enchevêtrement de paramètres, c’est risquer l’abstraction ?

Colonel Goya : Je dirais à cet égard que médias font du cubisme, alors que la situation quotidienne du combat relève plutôt de l’expressionnisme.

Il n’est certes pas toujours évident pour les reporters de s’immerger complètement dans la vie des troupes, sur le terrain. Donc, les journaux se contentent de saisir quelques images fortes. Il y a de gros progrès à faire en France pour améliorer  les relations entre l’armée et la presse. Les choses sont tout de même amenées à évoluer, avec les réseaux sociaux et les blogs (NDLR :  tient un blog consacré aux questions militaires : « La voie de l’épée ».)

Pour l’instant, la presse parle surtout des soldats au moment où il s’agit d’annoncer leur décès. La mort d’un soldat est présentée dans les journaux télévisés comme un drame national, et devient d’ailleurs l’occasion de remettre en cause le bienfondé d’une opération.

On ne lit pas de portait d’un militaire dont le parcours aurait été remarquable. Le web et les réseaux sociaux admirent tous les jours des gens ordinaires qui ont fait des choses extra-ordinaires, mais le grand public peut-il citer le nom d’un soldat français qui s’est illustré au Mali ?

Tuer, un tabou pour les médias ?

 CS : En fait, les médias hésitent à mettre en avant un individu qui a éventuellement déjà tiré sur un autre. Le fait de tuer dans l’exercice de la fonction de soldat reste t-il un tabou ?

Colonel Goya : Peut-être. Or, dans l’armée, les hommes et les femmes évoluent avec la mort comme hypothèse de travail.  Ce qui différencie un pompier d’un militaire, c’est que le militaire peut être tué mais aussi tuer. Il détient le monopole de la violence légitime. Et cela, les médias ne le mettent pas en évidence lorsqu’ils présentent l’armée comme un métier à risque semblables aux autres.

 CS : L’armée française joue historiquement un rôle prépondérant dans la pacification de la zone Afrique, et pas seulement dans ses anciennes colonies. Jugez-vous souhaitable que la France projette de mobiliser des forces en vue de contribuer à la pacification du Sud-Soudan ? 

Colonel Goya : Cela ne me semble pas probable, et ni d’ailleurs souhaitable pour la lisibilité de l’action militaire française actuelle sur le continent africain.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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