Le quotidien « Libération » voudrait rester un journal

Samedi 8 février, les principaux actionnaires de Libération ont communiqué leur volonté de restructurer le journal autour d’un projet immobilier de grande ampleur, en vue de faire de Libération avant tout une marque culturelle. Or, les salariés tiennent à ce que le journalisme reste l’ADN de Libé. La majorité d’entre-eux ont émis des réserves quant au plan imaginé par Edouard de Rotschild et Bruno Ledoux.

Leur cri clamé en Une et son écho détourné sur les réseaux sociaux sont  emblématiques du malaise qui commotionne la presse écrite :  » Nous sommes un journal », à quoi répond : « Nous sommes au XXIème siècle ».

Libé, le Flore du siècle numérique ?

Bruno Ledoux et Edouard de Rothschild, qui sont les principaux actionnaires du quotidien Libération, ont prévu depuis novembre 2013 un déménagement du comité de rédaction à Bagnolet.

Ce n’est que la semaine dernière que les actionnaires ont fait part du projet de transformer le siège historique du journal en «un espace culturel de conférences comportant un plateau télé, un studio radio, une newsroom digitale, un restaurant, un bar, un incubateur de start-up». Le designer Philippe Starck serait mis à contribution pour dessiner le Flore du XXIè siècle.

Plus de trois-quart des salariés sont défavorables à cette entreprise, arguant samedi, en Une du quotidien :

 «Nous sommes un journal, pas un restaurant, pas un réseau social, pas un espace culturel, pas un plateau télé, pas un bar, pas un incubateur de start-up». 

La Une explicite de Libération, datée du 8/02/2014
La Une explicite de Libération, datée du 8/02/2014

Le coup cash du siècle

Une assemblée générale organisée dimanche après-midi a fait ressortir «le constat de divorce total entre l’équipe et les actionnaires», rapportait un participant au quotidien Les Echos (Les Echos, 10/02/14).

Le mail de Bruno Ledoux capté par le journaliste Jamal Henni, puis relayé sur BFM Business, est révélateur du rapport de force qui s’est installé entre actionnaires et salariés du journal :

«Je veux les rendre ringards tous ces esprits étriqués et tirer (…) un coup cash où tout est dit y compris le projet sur l’immeuble», a t-il écrit au sujet des salariés de «Libération».

Un resto hype, un bar branché, un incubateur hyper cool. Le baroque-numérique est fait pour séduire la cible de Libé.

En témoignent cette Une détournée qui circulait ce week-end sur les réseaux sociaux : « Nous sommes au XXIè siècle ! », ainsi que de nombreux tweets reprochant aux journalistes du quotidien de gauche de se comporter en réactionnaires et de camper mordicus sur leur position.

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Une lecture sans nuances du conflit qui traverse la rédaction. D’abord, les salariés ne sont pas tous d’accord entre-eux sur l’avenir de leur journal. De plus, c’est moins les projets évoqués que le manque de sens du dialogue des actionnaires et des deux co-directeurs qui a fait réagir les salariés avec une certaine raideur.

Quelle stratégie pour Libération ?

Quoi qu’il en soit, la question de la lisibilité de ce projet, si séduisant qu’il paraisse, se pose réellement.

Quel sens conserve l’idée d’ouvrir un bon restaurant si le journal dont il porte le nom a vocation à servir de serviette en papier ?

L’identité de Libé se construit-elle exclusivement par programmation ? La stratégie du « Y a qu’ à » est-elle pleinement efficiente dans le cas d’un journal, qui, nécessairement, se forge une histoire chemin faisant ?

Ce lundi 10 février, les salariés de Libération rappelaient à nouveau dans les pages du journal ce qu’ils estiment relever de l’ordre des priorités, à savoir donner les moyens d’améliorer la qualité des contenus print et numériques avant d’envisager l’éventualité de développer des offres connexes.

Sur la page Facebook créee par des salariés de Libération, ce menu caustique
Sur la page Facebook créee par des salariés de Libération, ce menu caustique

Plus immédiatement, il est question pour la rédaction de s’assurer d’une heure de bouclage qui n’induise pas bâclage.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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