New York : les damnés de l’Open Data

A New York, l’Open Data apparaît comme LA forme achevée d’une citoyenneté arrivée à maturité, participative et responsable. Mais pourquoi ce dispositif technologique n’est-il pas encore pensée comme un moyen de mettre en place une politique efficace, puisque ciblée, à l’endroit des citoyens démunis ?  

L’Open Data, un nouveau genre de trésor public

Open Data. C’est le nouveau sésame pour qui veut mordre dans la Grosse Pomme jusqu’aux pépins. Le business, la démographie et ses courbes mutantes, les nouveaux hauts-lieux de divertissement qui font trembler les lumières des avenues. Quelques longueurs, aussi. New York.

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Cet été, le terme est sorti des articles Medias/High Tech du New York Times. Les commerces et les lieux culturels relayent de plus en plus la publicité faite depuis trois ans à ce fameux service « NYC Open Data », qui a pour vocation de rassembler et d’exploiter la richesse des données publiques produites par divers organismes de New York et d’autres organisations de la ville, et de les mettre à la disposition du public. Le site de la mairie de New York décrit ainsi l’Open Data comme l’invention d’un trésor public contemporain. Ce catalogue, fonds sans fond, offre « un accès à un référentiel d’ensembles de données lisibles par tous les citoyens.

« N’importe qui peut utiliser ces ensembles de données pour participer à son tour à la recherche de data, voire à la création d’applications. La data, c’est un service public qui va dans les deux sens« , nous explique, enthousiaste, un représentant de la mairie de New York, qui voit dans l’Open Data une technologie propice à l‘instauration de rapports horizontaux entre citoyens et administrateurs de la ville.

La divine comédie du dessous

Reste que la ville s’est construite à la verticale, et que pour l’instant du moins, aucune technologie n’est parvenue à déséquilibrer cet ordre. D’ailleurs l’Open Data est-elle en mesure de le formaliser totalement ?

Dans les boyaux rouillés de la ville, gisent vivantes des sommes indéfinies de données non communicables. Si elles étaient connues et exploitées, elles pourraient pourtant donner lieu à une politique de logement et d’emploi efficace, car finement ciblée. 550450_10151223673973960_607122336_n

Grand Central Terminal, où quelques 600 000 américains débarquent chaque matin, est la plus grande gare du monde: 44 quais et 67 voies répartis sur deux étages. C’est un lieu stratégique pour le gouvernement de la ville, qui en retire quotidiennement  des milliers de data sur les voyageurs et les trajets effectués, afin d’en déduire des informations sur les habitudes géo-sociologiques et la démographie de l’agglomération new-yorkaise.

Ce que l’Open Data ne modélise pas, c’est la divine comédie des entrailles de la gare. De ces indénombrables , elle ne dit rien. 7 étages plus bas, là où l’électricité du réseau ferroviaire est produite, sous le flux des données ouvertes, le silence du dessous clos est saisissant. Les damnés de la terre  y trouvent le silence, et entretiennent avec la solitude un rapport tantôt paisible, tantôt conflictuel. tunnel_title

« Ceux qui trouvent refuge dans cet enfer sont ceux que la société ne recense pas. Ces hommes et ces femmes sont pour la plupart des repris de justice, des délinquants en cavale, des drogués, ou des traumatisés de guerre » explique Stéphane Tonnelat, sociologue, chargé de recherche au CNRS, qui mène un travail ethnographique sur divers types d’espaces publics urbains à Paris et New York.

Dans un documentaire produit par France 5, la réalisatrice Chantal Lasbats a présenté un canevas de portraits croisés d’habitants de ce no man’s land qui racontent leur parcours et leur vie quotidienne, en alternance avec des commentaires sur des images factuelles. Une manière d’inscrire des noms et une histoire sur des visages livrés aux arrangements hasardeux des ombres. Les maladies, le vol, les violences. Un premier pas avant la mise en data de ces habitants déchus de facto de leur citoyenneté ?

Les entrailles de New York (2008) :  

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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