Hier soir, dimanche 14 septembre, un quatrième médecin a succombé à l’épidémie d’Ebola en Sierra Leone. Depuis janvier, l’épidémie a emporté 900 personnes sur 3500 cas confirmés. Si la médecine halieutique ne sait toujours pas le soigner, les médias ne savent pas toujours comment en parler.
La liberté d’information, victime collatérale d’Ebola en Afrique ?
En pleine épidémie d’Ebola au Liberia, pays où la maladie compte le plus de victimes, les autorités ont renforcé leur contrôle sur les médias nationaux, au point de menacer la possibilité pour les journalistes de fournir une information indépendante sur un phénomène de santé publique qui prend de l’ampleur.
Le 4 septembre 2014, le Syndicat de la presse du Liberia (Press Union of Liberia) a adressé une lettre à la ministre de la Justice. Ce courrier, relayé par Reporter sans Frontières, exprime une inquiétude face aux récentes mesures de sécurité, qui sont perçues par le syndicat comme des atteintes à la liberté d’informer sur Ebola par devers les paravents des données officielles du gouvernement. Press Union of Liberia en veut pour preuve le blocage du générateur du quotidien FrontPage Africa, la convocation à la police de la direction du Women Voices Newspaper, ainsi que le couvre-feu qui empêche les journalistes de circuler la nuit. A cette liste s’ajoute la fermeture manu militari du National Chronicle Newspaper, depuis deux semaines.
Dans sa lettre, le syndicat de la presse du Liberia déplore que le rôle de la presse dans cette cris soit limité et contrarié : « La crise sanitaire traversée par le Liberia ne doit pas servir de prétexte à un durcissement contre les médias. Au contraire, une implication maximale des médias est nécessaire afin d’assurer à la population une information constante sur l’évolution de l’épidémie, les mesures de prévention et la réponse des autorités ».
Comment parler d’Ebola, s’il devient impossible d’enquêter sur l’évolution de la pandémie ?
Le marabout et le journaliste
Sur le continent européen, c’est de certaines représentations dont il s’agit pour les journalistes de se libérer.
Deux siècles de positivisme ont influencé plusieurs médias à se focaliser sur une supposée propension des populations africaines à interpréter le virus de façon magique. « En mettant ainsi en scène, pour la énième fois, le supposé «obscurantisme» des Africains, nombre de journalistes abusent d’une sociologie totalement obsolète » s’est désolé le sociologue Cyril Lemieux dans les colonnes de Libération le 16 août 2014.
Du fait de ces préjugés, les réseaux sociaux, blogs, et gazettes locales africaines sont des canaux d’information sur Ebola qui restent insuffisamment exploitées par la presse européenne, car ces médias sont globalement perçus comme de simples relais des superstitions.
Pourtant, le procès est loin d’être fondé. Dans les pays concernés par Ebola, la radio est le premier vecteur de lutte contre les préconisations hasardeuses des sorciers. Au Sierra-Leone, où près de 60 % des habitants ne sont pas alphabètes, la radio compte plusieurs dizaines de stations émettant dans tout le pays. Le gouvernement sierra-léonais a décidé de faire de la radio une arme contre la propagation du virus, en offrant aux principaux animateurs et journalistes de radio du pays une formation consacrée à Ebola. On leur rappelle que lutter contre les rumeurs fait partie de leur mission.
La presse africaine est quant à elle la première à relayer les caricatures moquant les superstitions, rappelle laackater, professeur à l’université de Kinsasha, et mondobloggeur à RFI. Le dessin de Mutio, qui rit des croyances nées du mélange entre recommandations occidentales (le vaccin) et remèdes traditionnels (le vaudou), a été largement reproduit dans les journaux et dans les blogs africains.
Au lit avec Ebola
Mais, la réelle difficulté pour les médias, qu’ils soient français ou africains, est qu’Ebola ne saurait se réduire à un débat autour de représentations, de rumeurs et de chiffres officiels.
Frankie Taggart, correspondant de l’Agence France Presse à Dakar, a voulu informer de l’épidémie en décrivant la maladie telle qu’elle s’est immiscée progressivement dans la vie des gens.
Pour comprendre Ebola comme phénomène vécu, Taggart a pris des risques. Il s’est enfoncé, avec une équipe de l’AFP, dans une hot zone d’Ebola, à l’est de la Sierra Leone.
Dans son reportage « Au lit avec Ebola », le journaliste décrit comment la maladie se propage peu à peu dans les gestes et conditionne les craintes du quotidien : « Passer quelques jours à ne rien toucher, à craindre tout le monde, à vous laver les mains et le visage toutes les cinq minutes, et à penser que la moindre goutte de salive peut être le début d’une fièvre hémorragique est quelque chose d’incroyablement stressant », écrit-il sur le site du making off de l’AFP ; par deçà toute interprétation sociologique, médicale ou politique.
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