Prix Bayeux 2014 des reporters de guerre : un palmarès et une polémique

Le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre a récompensé, samedi 11 octobre, des reportages sur Bahreïn, la Syrie et la Centrafrique. L’Agence France-Presse (AFP), le Times, France Inter,  la BBC et Arte font partie des médias primés. La 21ème édition du Palmarès,  particulière en cette année d’intensification de la violence à l’endroit des journalistes, a pris fin sur fond de polémique autour du sujet photo sélectionnée par le Prix du public.

Le Palmarès de la 21ème édition :

Les reportages photo, télévision et presse écrite récompensés :

Trophée Photo (prix Nikon) : Mohamed Al-Shaikh, pour son reportage réalisé au Bahreïn, « La majorité chiite poursuit ses manifestations contre le pouvoir ».

Presse écrite (prix du Conseil général du Calvados) : Anthony Loyd pour son reportage paru dans le Times« I thought of Hakim as a friend. Then he shot me »

Radio (prix du Comité du Débarquement) : Olivier Poujade pour son reportage « L’opération Sangaris dans le piège de Bangui », réalisé en Centrafrique pour France Inter

Télévision (prix de la région Basse-Normandie) : Lise Doucet pour son reportage sur la ville de Yarmouk

Télévision grand format (prix SCAM) : Marcel Mettelsieffen pour Arte Reportage, « Syrie : la vie, obstinément »

Extrait de "Syrie, la vie obstinément", reportage primé (Marcel Mettelsiefen et Anthony Wonke – ARTE GEIE/ITN)
Extrait de « Syrie, la vie obstinément », reportage primé (Marcel Mettelsiefen et Anthony Wonke – ARTE GEIE/ITN)

Jeune reporter (parrainé par Capa Presse TV) : Alexey Furman pour son reportage sur la crise ukrainienne.

Webjournalisme (prix Nikon) : « Grozny: nine cities» diffusé sur le site de Polka Magazine

Prix Ouest-France – Jean Marin (presse écrite) : Claire Meynial pour son article
paru dans Le Point, « Dans le village martyr de Boko Haram»

Prix Fondation Varenne des lycéens de Basse-Normandie (télévision) : Ian Pannel pour BBC News pour son sujet« Attaque chimique sur une école »

La polémique : peut-on donner à voir la barbarie ? 

Le public, invité à se prononcer dans le cadre du « Prix du Public », a primé  quant à lui le reportage du photographe turc Emin Ozmen montrant des décapitations par des djihadistes de Daech en Syrie : « Syrie : La barbarie au quotidien».

La profession, pourtant, se refuse à publier ce type de séquences.  Le jury, présidé par Jon Randal, correspondant de guerre américain , avait  d’ailleurs rejeté  le sujet d’Emin Ozmen au motif de « grave entorse à la déontologie ».

Alors, pourquoi le public a t-il sélectionné un tel sujet ? A quoi bon récompenser des clichés qui représentent la barbarie de ceux qui utilisent les journalistes comme des leviers d’une propagande de la terreur ?  Pourquoi, dans un tel contexte, le spectateur averti se sera t-il laissé séduire par un genre de photo-journalisme à mi-chemin entre le cliché sensationnel et la prise de vue hyper-réaliste ?

« Cette réalité sanglante que nous vivons au Moyen-Orient, il faut que tout le monde la constate et que l’on agisse pour empêcher cela », a plaidé le reporter Emin Ozmen, devant un jury interloqué. Pourtant, l’intention de dévoiler la réalité dans la simplicité de sa manifestation ne libère pas le photographe de presse de toute interrogation sur les conséquences de l’image dont il est l’auteur. On peut s’interroger sur les motivations du journaliste.

Quoi qu’il en soit, Ozmen n’a t-il pas fait le jeu de la propagande de la terreur de l’EI en cadrant ces prises de vue pour les publier ? Plus une nouvelle est choquante au plan émotionnel et éthique, plus elle a de chance d’être partagée massivement, rapidement, et surtout sans être modifiée, tronquée, ni parodiée.

Le sujet récompensé par le public apparaît ainsi comme de la pure propagande. « Le journaliste a-t-il été obligé de prêter allégeance à Daech ? » se demandait RFI (site de RFI, 11/09/14). En effet, on est en bon droit de s’interroger sur les conditions auxquelles le reporter a du se courber pour produire ses clichés, quand on sait que l’EI nourrit le projet de se servir des journalistes comme matériau de propagande. On n’est pas «embedded» dans l’organisation qui se nomme « Etat islamique » comme on pourrait l’être dans n’importe quelle armée du monde.

Ce soir, les voix et les avis fusaient. Si le public crie ses coups de coeur, les journalistes jugent en conscience. « Ces images, vous ne verrez jamais dans les journaux », ont coupé d’un souffle unanime les membres du jury, comme pour clore un débat dont les prémisses étaient pourries. Le droit français de la presse prévoit en effet l’interdiction d’images portant atteinte à la dignité des victimes de crimes ou de délits, ainsi que l’interdiction d’images  portant atteinte à la dignité des personnes présumées innocentes, menottées ou entravées (Article 35 quater de la loi de 1881 sur la liberté de la presse). On ne peut pas tout vouloir dire, quand l’image engage, de part et d’autre de la caméra, des individus sujets du droit.

Jeudi, les parents de James Foley,  journaliste américain assassiné par l’Etat islamique et la famille de Camille Lepage, journaliste française tuée en mai en Centrafrique, sont venus se recueillir au Mémorial des reporters de Bayeux, où une 28e stèle, portant les 113 noms des journalistes tués entre avril 2013 et août 2014 a été dévoilée. Depuis 1946, le Prix Bayeux Calvados rend hommage aux journalistes assassinés en faisant leur métier. Le débat de ce soir a montré que les principes qui commandent à ce métier n’étaient pas encore, eux, gravés dans la pierre.

 

A Bayeux, Clara Schmelck

 

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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