En août dernier, Intégrales avait rencontré à Erbil des journalistes de Rûdaw TV, à dix mètres des islamistes de Daech sur la ligne de front. Le groupe médias du kurdistan irakien, qui se décline en une édition papier, un site web, une chaîne de TV et une radio, rencontre aujourd’hui une popularité internationale grandissante. Signe que les success stories n’appartiennent pas qu’aux médias occidentaux, et qu’au Moyen-Orient, il n’y pas qu’Al Jazzera.
Les clefs du succès : diversification et diaspora
C’est un fait peu connu : depuis la fin du régime baassiste et l’interruption de la guerre civile en 1998, le kurdistan irakien est une terre particulièrement fertile pour la presse, secteur économique globalement en crise dans le monde. Entre septembre 2009 et avril 2010, 280 titres de presse écrite ont poussé dans cette région autonome d’Irak.
Média le plus remarquable de cette moisson : Rûdaw (« Évènement »), lancé en avril 2008 et basé à Erbil, capitale de la région autonome du kurdistan en Irak. Aujourd’hui, Rûdaw, existe dans une version papier, avec un tirage maximal cumulé de 10 000 exemplaires pour les deux éditions hebdomadaires du journal, l’édition politique, et l’édition sport et diaspora en Europe ; sur internet avec son site rudaw.net , ainsi qu’à travers une chaîne TV et une station de radio. Le groupe emploie à ce jour 310 employés, selon un représentant de l’entreprise.
Le journal s’est d’emblée assuré d’une base de lecteure optimisée, en proposant son journal dans les deux dialectes kurdes, le sorani et le kurmanji. Petit à petit, la rédaction s’est flanquée de correspondants au Kurdistan irakien, à Souleymanieh et Duhok, puis, à Bagdad et à Instanbul. En 2014, le groupe média kurde a ouvert deux bureaux, respectivement à Toronto et à Washington DC. Quant au site internet rudaw.net, il est désormais disponible dans cinq langues. Une habile manière d’irriguer l’ensemble de la diaspora kurde.
Le groupe, qui a acquis un équilibre financier grâce à des fonds de Press Now et The Independant Media Centre, deux associations qui militent pour l’indépendance des médias, a ensuite rapidement parié sur la diversification : après la presse, Rudaw s’est lancé dans la radio et la télévision. La direction a refusé d’adopter une logique en silo : tous les journalistes font de l’écrit, de la radio (depuis 2011) et de la télévision (depuis 2013). Une situation que certains grands groupes de médias occidentaux rêveraient de pouvoir imposer à leur rédaction.
Formés à l’école de la BBC
Mais, là où Rûdaw se distingue des autres médias kurdes, et, dans une plus large mesure, des groupes médias issus des pays émergents, c’est dans sa stratégie éditoriale, à la fois inspirée des grands groupes médias globaux, et encrée dans les préoccupations locales de la « zone culturelle » qu’est le kurdistan.
« Rûdaw a adopté tous les codes de la chaîne d’information continue internationale : jingle musical grave, bandeau défilant, rapidité du montage d’images, incrustation de mentions live » observe t-on à Ina Global (Ina Global, 12/11/13). « Certains de nos cadres ont été formés par la BBC » , a glissé Ako Mohammed, DG de Rûdaw, au journal irakien The Report (The Report, 19/09/14)
Lorsque l’on regarde Rûdaw TV en replay, l’on découvre une large diversité de programmes : émissions culturelles ou religieuses, sujets sociaux, débats politiques. La drogue, les violences faites aux femmes, mais aussi des sujets typiquement locaux, comme le sort des nomades ou le devenir des manuscrits chrétiens. Un peu à l’instar de la BBC, qui s’est déployée à l’international tout en maintenant un ancrage très british.
Rûdaw TV, à ce jour diffusée en kurde, ambitionne d’ici deux ans de lancer une édition en arabe, une en turc et une en anglais.
Pour autant, ne comparez pas Rûdaw à AlJazzera. « C’est la chaîne qui couvre le plus le Moyen-Orient, mais certainement pas le mieux! » , s’agace Ako Mohammed au sujet du mastodonte qatari (The Report, 19/09/14). Le défi est lancé.
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