Le Monde confie des textes à des robots-journalistes pour les départementales : faut-il s’en inquiéter ?

Lisez ce paragraphe, tiré du quotidien Le Monde, en date du lundi 23 mars 2015. A première vue, rien de remarquable. Si ce n’est cette petite bande que la couleur grise et la taille de la police distinguent du corps du texte. Ces textes, apprend-on après les avoir parcourus, ont été écrits en collaboration avec Data2Content, une marque de la société Syllabs. En clair, c’est à un robot que Le Monde a confié des textes visant à rendre compte des résultats des élections départementales qui se sont tenus ce dimanche. Fréquemment gratifiés à tort du titre de « robots-journalistes », ces robots-rédacteurs produisent des textes à partir de données. Faut-il s’en inquiéter ?

(Capture d'écran)
(Capture d’écran)

Les robots vont-ils bientôt remplacer les journalistes dans leur tâche de rédaction ?

On savait les algorithmes capables de décrypter la réaction des consommateurs aux contenus, on les voit désormais de plus en plus présent à l’oeuvre, dans une salle de rédaction.

On se souvient du billet du Los Angeles Times qui relatait, il y a un an, le 17 mars 2014, le séisme de Westwood :« Ce post a été rédigé par un algorithme créé par l’auteur » avait précisé le quotidien de Los Angeles. Le journaliste Ken Schwenke avait construit un algorithme baptisé Quakebot. Le robot a intégré les données du Centre fédéral d’information sur l’activité sismique, avant de les mettre en forme pour publication automatique avec un titre, une carte de situation de l’épicentre si le séisme touche la Californie. L’algorithme a même été en mesure d’estimer que la magnitude était suffisamment élevée pour en faire une « breaking news ».

Depuis plus d’un an maintenant, le quotidien californien expérimente cette nouvelle façon de traiter les flux rapides d’information, à l’instar des faits divers ou des nouvelles susceptibles de créer le scoop immédiat.

La valeur de l’écriture

En Europe, avant Le Monde, The Guardian a intégré lui aussi un robot à son équipe de rédaction, dans l’ambition de lui faire rédiger des articles complexes, avec un angle affiné. Si le « Guarbot » a donné satisfaction en terme de précision, il a déçu les journalistes, qui n’ont pas reconnu dans les productions du robot un contenu proprement éditorial.

Les robots sont certes concis, mais ils ne sont pas dotés d’esprit critique, ni de sensibilité, ni de sens de l’humour. Or, ce sont aussi ces qualités, essentiellement humaines, que les lecteurs, qui sont des humains, tiennent à retrouver lorsqu’ils lisent leur journal.

Il peut y avoir une équivalence entre une grammaire chiffrée et une syntaxe verbale, et un robot est de ce fait capable de transformer un algorithme en contenu d’information. Cependant, il n’a pas le pouvoir de remplacer l’effort d’écriture du journaliste.

Des chiffres et des noms 

Il n’y a pas d’effort d’écriture ni d’acuité particulière à exercer lorsqu’il s’agit de rendre compte de chiffres bruts, rétorque t-on au Monde.

Mais, les chiffres qui apparaissent « bruts » ne sont en réalité jamais exempt d’analyse. En l’occurrence, les résultats des départementales décharnés de tout élément humain d’analyse, ne serait-ce qu’une note qui vaille d’ aiguillon de lecture de ces chiffres et de ces noms propres, aurait peut-être été précieuses, d’autant plus quand on sait le désintérêt croissant des citoyens pour ce scrutin.

Ce à quoi l’on peut répondre que le fait de faire appel à des robots pour traiter des données brutes permet aux journalistes de mieux se concentrer  sur l’analyse politique elle-même, pour développer en équipe des infographies, par exemple, au lieu de s’éparpiller dans un travail relativement ingrat de retranscription de résultats .

Certes, mais cette séparation entre la communication de données et l’analyse de ces données est discutable d’un point de vue didactique. Laisser à disposition du lecteur des chiffres bruts générés par un robot, faire ainsi l’économie de l’homme, surtout quand il s’agit de politique, est-ce vraiment informer ?

 « Les robots-rédacteurs ne sont pas des journalistes ! « , nous assure Claude de Loupy, CEO de Syllabs.

A lire également sur l’Atelier des Médias de RFI : « Les robots-rédacteurs ne sont pas des journalistes »

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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