Turquie : photographier la douleur

Arrêt sur Image

en direct d’Ismaniye, Turquie

Cette image est difficile à montrer  dans un média d’information, tant elle apparait dépourvue de signification. La photographie montre deux enfants souriant en sandales devant le soleil qui rosit leur visage. Le ciel est azur, et les arbres en feuilles peuvent s’estimer heureux pour un 4 décembre. C’en est presque une image d’Epinal.

Ce que le cliché  ne dit pas, c’est que Warda et Ibrahim ont 7 et 6 ans, et qu’avec leurs parents, originaires de Manbij -entièrement sous le contrôle de l’Etat Islamique- ils viennent de prendre la route pendant près de 3 semaines, pris en tenaille entre les bombardements de l’aviation russe, ceux de la coalition, et du régime, et terrorisés par l’asphyxie sécuritaire qui règne dans la ville.

« Comment montrer leur douleur ? Non en suscitant une énième fois la compassion ou la désolation, mais en exposant, en plein soleil, la générosité de ces deux enfants », défend Farouk Atig. 

Ce n’est pas le pathos qui est convoqué, comme c’est le souvent le cas des photographies d’enfants en zone de conflit, mais l’intellect des lecteurs : « pourquoi cette photo ? Que veut-elle montrer de particulier ? » L’image est une injonction à s’informer.

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Photo : F.A, Intégrales Mag

Ils sont effrayés à la fois à l’idée d’être refoulés en Europe, mais surtout de se retrouver en mer, sans assistance et ne sachant pas nager. Ils rêvent de quitter la frontière turco-syrienne au plus vite, pour tourner une bonne fois pour toute la violente page de leurs jeunes années passées au milieu des bombes.

Leurs derniers jours ont été les plus éprouvants physiquement et psychologiquement : dissimules sous un épais amas d’avoine et une bâche humide et nauséabonde, ils sont restés terrés pendant 6 jours dans une cabane en tôle, priant pour que leurs parents résistent à la dictature des check-points et aux rackets répétés, aussi bien côté syrien que côté turc.

Et pourtant, la générosité – c’est- à dire la résolution optimiste de ces deux enfants devant l’épreuve, nous fait penser que l’humanité n’a peut-être pas encore tout à fait renoncé…

 

Farouk Atig et Clara Schmelck

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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