Michel Maffesoli, le philosophe qui démonte les clichés sur les Digital Natives

Membre de l’Institut universitaire de France et Professeur Émérite à la Sorbonne, directeur du CEAQ (Paris-V), Michel Maffesoli vient de co-signer avec Hervé Fischer La Post-Modernité à l’heure du Numérique.   Rencontre avec le philosophe, dont la pensée permet de démonter trois préjugés sur les comportements des Digital Natives. 

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Le philosophe Michel Maffesoli dans son bureau parisien. Photo : Clara Schmelck, Intégrales Mag

 

1. Victimes d’overdose numérique, les jeunes seraient devenus incapables d’attention.

Les jeunes passeraient la journée à survoler des contenus de qualité médiocre sur les applis et les réseaux sociaux. Dès qu’il est question du discours au sujet d’internet, il est question de contenus, et en général, d’un prétendu nivellement par le bas des contenus, d’un dévallement, comme dirait Heidegger.

Maffesoli corrige : « Pour reprendre l’expression d’Edgar Morin, nous constatons plutôt l’apparition d’une « attention clignotante » : les jeunes n’achètent plus de journaux, mais se connectent le matin pour suivre les nouvelles. »

Et, ce n’est pas parce-que les jeunes n’ont plus Le Monde sous le bras en début de soirée pour paraître intellos, comme c’était le cas des étudiants dans les années 1990, qu’ils ne lisent plus la presse, que les idées cessent de circuler. Simplement, les journaux ne sont plus un marqueur explicite de distinction sociale, comme le remarque le philosophe.

Michel Mafessoli invite à s’intéresser aux contenants – aux structures des interfaces -, pour entrevoir comment le net aide à entrer en contact avec les autres à travers la découverte et l’approfondissement de sujets auxquels les jeunes internautes/mobinautes n’avaient pas d’affinité a priori.
2. Le numérique rendrait les jeunes encore plus individualistes que leurs aînés

Pour le philosophe, l’intelligentsia reste encore sur le logiciel moderne du « je » cartésien, claquemuré dans sa forteresse de son esprit alors que les jeunes générations ont saisi l’importance d’être «cum», avec, dans le partage, autrement dit, du «primum relationis » – dont les manifestations peuvent prendre la forme de la générosité ou bien du fanatisme.

Sur le net, chaque communauté, qu’il s’agisse des followers d’une youtubeuse ou d’un groupe Facebook, fonctionne comme une tribu qui a ses totems distinctifs : éléments de langage, événements, thèmes et lieux de prédilection…Mais il faut noter qu’à la différence d’une tribu ethnique, les membres des communautés numériques permettent de virevolter d’une tribu à une autre. Les jeunes le font constamment.

En fait, le numérique structure la société en profondeur, et ce que nous observons dans les comportements de la génération dite Y relève d’un passage, dans l’histoire de l’humanité, de l’individu à la personne : je n’ai plus une identité mais des identifications. Sur internet, 70% des pesudos féminins sont générés par des hommes. Persona, c’est le masque. Les jeunes ne sont pas poussés à se construire comme des individus, mais comme des personnes, devenant paradoxalement uns et pluriels dans une même vie en communauté.

3. Les jeunes, c’est no-future !

Certes, estime Michel Maffessoli, les jeunes ne vivent pas projetés vers le futur, mais vivent  l’instant avec intensité, qu’il s’agisse de relations affectives, d’échanges, et même dans leur rapport aux objets technologiques. Toutefois, si les jeunes n’enlacent plus l’idée de progrès, d’un horizon à conquérir, ce n’est pas par indifférence ou cynisme mais parce qu’ils se concentrent sur des valeurs comme solidarité ou l’engagement, ici et maintenant. « Je pense aux causes de l’environnement, aux organisations sans but lucratif, mais aussi à toutes les créations artistiques qui se voient sur YouTube. », détaille le philosophe.

On en revient à l’idée que le « je » n’est plus le paradigme de la post-modernité. Conséquence : les sociologues, les publicitaires et les politiques vont devoir cesser d’analyser les futures générations avec les oeillères d’une lecture moderne de la société.

Dans une société qui se comprend davantage en termes de tribus que de générations, l’expression de « jeunes » est-elle elle-même encore pleinement pertinente ? C’est le philosophe qui le dit : il va falloir réviser nos catégories.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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