Théo, la bavure de trop ?

« Cette rencontre, on la réclamait tous, indépendamment de nos opinions sur la question. D’abord parce que c’est notre crédibilité qui est en jeu, et puis ne pas se positionner revient à envoyer un signal dangereux à la population. Beaucoup d’entre nous soutiennent aveuglement nos collègues incriminés, mais en discutant en aparté avec d’autres avec lesquels je suis pourtant régulièrement en désaccord sur presque tout, je me suis rendu compte que cette affaire était celle de trop, y compris pour eux. On a déjà du mal à se faire entendre sur nos conditions de travail auprès de nos hiérarchies respectives, si maintenant en plus on passe pour des violeurs en puissance, ça la fout mal… »

theo hollande

De foncièrement hostile au départ, l’atmosphère de la rencontre est passée en à peine quelques minutes à volcanique, et même « bordélique » aux toutes dernières minutes, selon le récit circonstancié de cet officier de police de la région parisienne qui préfère s’exprimer sous le coup de l’anonymat.

Face à la virulente polémique née du viol présumé du jeune Théo par 4 policiers en service, une poignée de leurs collègues se sont donc retrouvés hier soir et ce matin, pour discuter des manières de pouvoir dissiper l’orage. « Rencontres en catimini et sans l’aval des syndicats », raconte Max*, qui officie dans un commissariat de l’Essonne située en lisière de plusieurs quartiers sensibles.

« Maintenant, ils vont même jusqu’à attaquer les commissariats en représailles. Et nos pouvoirs publics ne font rien pour nous défendre, ni même pour nous soutenir », poursuit-il colère.

Pour Max, comme un bon nombre de policiers officiant dans les zones les plus tempétueuses de l’hexagone, les violences qui ont émaillé ces derniers jours Argenteuil, Bobigny et d’autres quartiers de France sont la traduction parfaite d’un malaise qui ne date pas d’hier. Ils sont conscients que celui-ci prédomine en réalité depuis de nombreuses années entre les forces de l’ordre et la jeunesse de banlieue, bien avant même l’instauration de l’état d’urgence qui a décuplé leurs prérogatives, face à la menace terroriste.

Geste volontaire ou accidentel, la juge d’instruction devra trancher, en visionnant notamment seconde par seconde l’intégralité de la séquence filmée par une caméra de vidéosurveillance. Selon Marc-Antoine, l’un des 4 policiers en faction ce jour-là, il ne s’agit que d’un regrettable accident : « Je décidais de porter à l’individu des coups de matraque télescopique en visant ses membres inférieurs dans l’espoir de lui faire perdre l’équilibre et de l’amener au sol», jure-t-il.

 

 

Une version contredite en tous points par celle de la victime, qui parle d’acte volontaire et aveugle :

« Je l’ai vu prendre sa matraque et il me l’a enfoncée dans les fesses volontairement ».

 

Problème, une semaine jour pour jour après les faits survenu à Aulnay-sous-Bois, des langues commencent tout doucement à se délier, et un dernier témoignage en date d’un camarade de Théo accable les forces de l’ordre, puisque lui aussi affirme avoir été violemment passé à tabac par les mêmes policiers, et notamment celui incriminé pour le viol présumé, surnommé cyniquement « Barbe Rousse » dans le quartier d’Aulnay.

A nos confrères de l’Obs, Mohammed K. raconte notamment que le même policier ayant fait l’objet d’une mise en examen pour viol l’aurait roué de coups le 26 janvier dernier, sans raison apparente. Son témoignage est pour le moins édifiant :

« On le connaît dans le quartier, c’est le même que celui qui a pénétré Théo avec sa matraque, tout le monde l’appelle ‘Barbe Rousse’. (…) Ils me frappent, coups de pied, coups de poing au visage, dans le ventre, dans le dos, je saigne parce qu’ils m’ouvrent le crâne, je leur dis que je suis essoufflé, ils me traitent de ‘sale noir’, de ‘salope’, ils me crachent dessus. »

 

Mohammed k., un ami de Théo, raconte avoir lui aussi été agressé violemment par le même policier incriminé.
Mohammed k., un ami de Théo, raconte avoir lui aussi été agressé violemment par le même policier incriminé.

 

Interrogé par téléphone ce matin, cet autre officier de la région se félicite qu’une nouvelle enquête soit menée à l’encontre de ces mêmes policiers, sur la demande expresse du ministre de l’intérieur qui a demandé à l’Inspection générale de la Police Nationale (IGPN) de faire toute la lumière sur l’agression de Mohammed K.

« Franchement, avec cette nouvelle affaire dans l’affaire, on ne voit pas comment notre collègue pourrait sans tirer. Sa réputation, des gamins du quartier l’avaient établi depuis longtemps. Et cette version est accréditée par certains de nos collègues encore vaguement respectés par les jeunes dans ce quartier. L’erreur serait que l’IGPN ne prenne pas davantage de sanctions à l’égard de cet officier. Plus personne ne peut le suivre à ce stade, et même son propre avocat est assailli de doutes selon les informations dont je dispose. »

Il reste peu probable pourtant que cette nouvelle mesure disciplinaire à l’encontre du policier suffise à tarir la gronde sociale qui a largement débordé les frontières du quartier, puisqu’elle semble se répandre comme une traînée de poudre sur l’ensemble du territoire.

« Le corps législatif, sans doute plus encore que la police, prend un sérieux coup de massue avec ces agressions répétées venus qui plus est de gens censés les protéger. Non seulement,  on doit rattraper les pots cassés, et montre autant que faire se peut qu’on ne s’aligne pas en toute circonstance, mais avec l’affaire Fillon qui agit comme un double révélateur du malaise social que notre pays traverse, le justiciable est conforté dans ses positions et la haine à l’égard du système politico-judiciaire fait tâche d’huile au-delà des quartiers populaires. »

Police/justice, même combat ?

Pas exactement, tempère ce magistrat affilié à l’un des principaux syndicats de la profession. Et d’ajouter, comme pour enfoncer le clou :

« Si pour une raison ou une autre, nos confrères décidaient d’abandonner les charges contre le couple Fillon, que ce soit par manque de preuves ou face à la pression politico-médiatique, je ne donne pas cher du climat délétère et insurrectionnel qui risque de gagner la rue. Le « deux poids deux mesures » éructés par une frange de moins en moins anonyme de la France d’en bas risquerait d’engendrer une situation d’insécurité à la limite du gérable. Et je ne pourrais qu’acquiescer en silence, à défaut de comprendre, que la rue en vienne à attaquer tous les symboles de l’Etat de manière systémique. Je commence même à me demander si en pareilles circonstances, si tant est qu’un tel scénario puisse être envisagé, le bons sens et la prudence ne nous conduisent à repousser purement et simplement le calendrier électoral en prévention d’une dégradation de la situation. »

A l’Assemblée nationale où il était invité à clarifier la position du gouvernement sur les événements des derniers jours en banlieue, Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur en exercice, s’est contenté de parler de « tragique accident dont a été victime le jeune Théo», là où le chef de l’état lui-même avait fait preuve d’un minimum de retenue, alors qu’il se trouvait au chevet de la victime toujours hospitalisé à ce jour.

Accident donc, accident tragique, qui a conduit un représentant des forces de l’ordre à enfoncer sur une profondeur de dix centimètres une matraque dans l’anus d’un habitant venu au secours d’un autre jeunes.

Accident toujours, qui a occasionné de sérieuses blessures au crâne et au visage de la jeune victime, victime qui plus est d’insultes raciales que beaucoup affirment avoir distinctement entendues.

Le tout ayant conduit à une interruption temporaire de travail de soixante jours.

Farouk Atig (avec Clara Schmelck et Perrine Ducamt – à Aulnay-sous-Bois)

 

 

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Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

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