Les blogs sont-ils morts ?

PRINTEMPS DES MEDIAS
Rencontre avec le chercheur Jean-Sébastien Barbeau, Doctorant à l’Institut français de presse (IFP)

A l’occasion de l’atelier « Vers des rédactions ouvertes ? Blogs de journalistes et réseaux sociaux » proposé lors des Assises du Journalisme à Tours le 17 mars dernier, le chercheur canadien Jean-Sébastien Barbeau, doctorat à l’IFP à Paris, est revenu sur une espèce hybride de blogs : les blogs produits par des journalistes et hébergés sur le site de leur employeur médiatique. Quels sont leur intérêt pour les journalistes ? Quelles sont les limites de cette forme de rédaction ? Quel est leur avenir ?

La seconde vie des blogs

Unknown-3« Parler des blogues en 2017 parait une curiosité pour certains », sourit Jean-Sébastien Barbeau. « Certes, cet outil de publication a sans doute perdu de sa superbe par rapport à 2007 où il était alors sur toutes les lèvres. Mais de dire que le blogue n’a plus d’intérêt, c’est une critique attendue ou prévisible. En regardant dans les banques de données de presse comme Europresse ou Factiva ou des sites spécialisés comme le Colombia Journalism Review ou le Pew Research, il ne se passe pas une année, depuis 2003, sans qu’un journaliste ou un spécialiste du web annonce la mort du blogue. Malgré cela, le blog est encore bel et bien vivant. D’ailleurs, dans les deux dernières années, les médias d’information français et étrangers ont doucement relancé les blogs. », justifie t-il.


Un outil d’autonomisation et d’indépendance pour les journalistes ?

Unknown-3« En France, si l’on exclut les skyblogs, deux groupes d’acteurs de la vie sociale ont marqué le blogue : les politiques d’abord, les journalistes ensuite. Ces deux groupes d’acteurs ont été séduits par l’argumentaire d’un homme qui a introduit les blogs à eux. Cet homme est Loïc Le Meur connu par sa présence accrue dans le web, comme conseiller au numérique pour Nicolas Sarkozy en 2007 ou encore pour ses conférences LeWeb sur les technologies de la communication. Lorsqu’il était l’agent commercial de Six Apart Europe, qui comptent Typepad et Movable Type, des logiciels payants pour bloguer, Le Meur a fait la promotion du blogue autour d’un argument central auprès des politiques et des médias : la proximité et plus précisément la possibilité de rejoindre la cible. Dans les faits, c’est éliminer des intermédiaires. » contextualise le chercheur.

En d’autres termes, le blog de journalistes représente un outil d’éditorialisation individuelle. Il donne l’impression, dans tous les sens du terme, qu’il est possible de publier en se passant de chef.

« Dans le cas du journalisme, l’élimination d’intermédiaires recompose la structure organisationnelle et la production du travail. Le blog supprime en partie ou en totalité la chaine de production traditionnelle. Dans le blog, et cela s’applique aussi pour les réseaux sociaux, un journaliste est à la fois un rédacteur en chef, un rédacteur, un secrétaire de rédaction, un secrétaire d’édition en plus de faire la mise en ligne. Pour les journalistes issus de moyennes et grandes rédactions, cette pratique est inédite : jamais les journalistes n’ont chapeauté autant de rôles et de fonctions ».

« Dans un article paru en 2004 dans le magazine Le Trente, éditée par la Fédération professionnelle des Journalistes du Québec (FPJQ), un équivalent proche à la SNJ, Benoît Munger, le responsable du site internet du quotidien montréalais Le Devoir mentionne : « Quand je suis arrivé dans le métier à la fin des années 70, la distance était assez grande entre mon travail de journaliste et la publication finale. Au cours des dernières années, j’ai vécu un rétrécissement de cette distance, grâce à la technologie. Les blogues en sont l’illustration parfaite. Pour la première fois, ce que le journaliste écrit est publié immédiatement, sans aucun intermédiaire ». Pour les journalistes, l’on assiste à l’autonomisation du travail. Dans cette conception du métier, le journaliste n’a plus à passer par ses collègues pour valider le texte. La rédaction terminée, rien ne l’empêche de le mettre en ligne », relève encore Jean-Sébastien Barbeau.

Intermédiaires et chefs : des médiateurs dans le média

« Une vision illusoire, prévient Dan Gillmor, journaliste américain, qui a été le premier journaliste-blogueur, dès 1999. Dans un long extrait de son ouvrage phare We,the media, paru au milieu de la dernière décennie, il confie que, plus que jamais, les normes et les valeurs journalistiques sont essentielles et qu’elles se font au travers de garde-fous que sont les editors, les collègues dans le média qui ont un droit de regard sur le papier : « Nous devons maintenir les principes fondamentaux, y compris l’équité, l’exactitude et la rigueur. Ce ne sont pas des pensées après coup. Ils sont essentiels si le journalisme professionnel désire survivre. Nous sommes obligés d’être justes. Nous sommes obligés de corriger nos erreurs. Heureusement, il s’avère que nous serons encore mieux équipés pour maintenir ces principes si nous écoutons et participons à la conversation [avec les internautes]. Et nous avons encore besoin d’editeurs.

Les blogueurs qui rejettent entièrement leurs éditeurs ou qui disent que ces personnes sont en partie inutiles dans le processus de production se trompent. Les editors ajoutent leur propre expérience d’une manière différente. Ils sont formés, la plupart du temps par leur longue expérience, à chercher ce qui manque dans une histoire. Ils posent des questions difficiles, exigent de meilleures preuves pour les faits avancés. Parfois, ils peuvent nous aider à nous faire voir que moins est plus : je ne peux pas compter le nombre de fois qu’un editor ait suggéré le retrait d’une phrase inutile ou incendiaire. Ils rendent mon travail de meilleure qualité et je ne voudrais pas les voir disparaître. » »

Vers le live sur les réseaux sociaux

Les journalistes qui travaillent pour des titres de presse ou des pure-players d’information peuvent-ils concilier la souplesse de la rédaction de type blog et l’exigence de la rédaction en équipe ?

« Le live est peut-être la convergence parfaite du blog et des réseaux sociaux par sa technicité, sa présentation et son contexte de production. Il n’en demeure pas moins que cette forme est sans doute la plus innovante actuellement et la pratique la plus prisée par les médias d’information français. Par contre, et contrairement aux réseaux sociaux et aux blogues, la production d’un live, spécialement dans une actualité chaude, ne se fait pas seul, mais en équipe. », conclut, en dialecticien, Jean-Sébastien Barbeau.

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A lire sur Intégrales : « Actualité internationales : 7 blogs français qui valent le détour »

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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