« Je ne voterai pas Macron. Ça non. » En ce premier mai, Caroline, étudiante en lettres à la Sorbonne, est pourtant venue défiler place de la République contre Marine Le Pen. « Il faut voter pour l’autre, même à marche forcée« , contredit une voix. « Ce sera Sarkoland pendant 5 ans de plus », je vote blanc« , lui oppose un jeune papa qui porte son petit sur son dos. La voix s’échauffe : « Blanc, blanc, y a pas, blanc, c’est Le Pen !« . La cacophonie se poursuit dans les slogans entonnés.
Il y a quinze ans, la jeunesse et la gauche étaient-elles plus soudées autour de la lutte contre le Front National, le parti xénophobe crée par Jean-Marine Le Pen ? En tous cas, le discours des manifestants était plus univoque et unanime : « La jeunesse emmerde le front national », « Je vote ou c’est la paire de bottes ». C’était clair : les jeunes électeurs, assimilés dans l’imaginaire collectif aux « étudiants », s’engageaient presque naturellement contre le FN et invitaient, suivis par les organisations et partis de gauche, à « voter escroc pas facho ».
Le piège de l’éclatement a gagné les actions citoyennes anti-FN. Eclatement des mots d’ordre, tout d’abord. A une semaine du second tour de la présidentielle, la traditionnelle journée internationale des travailleurs n’a pas tout à fait solidarisé, comme il y a 15 ans, l’ensemble des organisations salariales contre le Front national. D’un côté, la CFDT et l’Unsa ont appelé à voter pour Emmanuel Macron le 7 mai pour « battre » la candidate du FN, et ont organisé des rassemblements dont un à Paris, avec les étudiants de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes). Le rassemblement était prévu à 11 heures devant le métro Jaurès (19e arrondissement). De l’autre côté, la CGT, FO, FSU et Solidaires ont invité à manifesté ensemble dans de nombreuses villes, dont Paris, à 14h30, de République à Nation.
Le « système », point de bascule
Plus profondément, la disparité des motivations des manifestants est frappante : « On a déjà du voter Chirac, rien n’a changé. Les médias ne nous feront pas le coup une seconde fois« , s’agace une dame d’une cinquantaine d’années. « Vous les médias, vous êtes toujours avec le système, que vous le vouliez ou non. Vous jouez les pompiers pyromanes, et maintenant, vous voulez nos voix, pour continuer vos petites affaires« , renchérit son compagnon.
Il suffisait que le FN l’emporte sur le terrain vague du « système » pour que la digue s’effondre. Mine sémiologique qu’aucun politique ni journaliste n’a réussi à déminer : le système. C’est un monstre mondial qui exclut et qui ment. Un ventre patronal jamais assez repu. Ce mot investi de colère est la courroie de transmission entre les extrêmes qui renoncent à libéralisme régulé et se prononcent pour un souverainisme économique et culturel absolu. Macron, banquier juif tricheur et manipulateur par le jeu des imaginaires alimentés par les fake news sur les réseaux sociaux, est de facto un ennemi. Résultat : c’est lui qui cristallise la colère, et non Le Pen, qui suscite pourtant globalement le rejet ou le dédain en raison des positions islamophobes et xénophobes revendiquées par son parti.
« D’où je vote Banquier ? Si c’est Marine Le Pen, on fait une révolution ! » s’envole Fatiah, en terminale dans un lycée parisien. « J’ai des amis qui vont voter Marine. Abusé, elle est raciste comme son père, et en plus, elle est contre le mariage pour tous« . On est en pleine contradiction non assumée.
16h30. « Le défilé anti-Le Pen dégénère ». Autrefois, cette information aurait tourné en boucle dans les salons, sur les téléviseurs allumés. Aujourd’hui, elle arrive et se réactualise toutes les minutes sous forme de notification « push » au bout de la main de quiconque est équipée d’un smartphone, du vigneron dans son champ au vacancier au bord de sa piscine. Ce qui n’est pas idéal pour apaiser la société française plus crispée que jamais à l’abord du second tour du scrutin présidentiel.
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