Ce que les « Fake news » nous disent de vrai


Si les électeurs auront finalement bien résisté à l’influence des fakenews pendant la campagne, à peine le nouveau président de la République est-il élu que les intox arrivent par escadrons. Problème : il ne suffit pas d’identifier un « fake news » comme tel pour dissiper rumeurs et erreurs délibérées, mais de voir quelle vérité ce « fake news » nous dit il implicitement sur les producteurs de contenus faux.

Le programme d’Emmanuel Macron fait une nouvelle fois l’objet de fake news sur les réseaux sociaux. Selon une intox qui circule depuis deux jours sur Facebook, le nouveau président de la République voudrait supprimer « par ordonnance dès la rentrée 2017-2018 » les APL et les bourses étudiantes, ce qui « ferait une économie de 50 milliards d’euros par an. Or, de telles mesures n’apparaissent nulle part dans le programme d’En marche !

IMG_6974Alors, comment lutter contre la propagation de tels « fake news » qui nuisent à la lecture d’un projet politique et à sa critique fondée par les citoyens ?

Identifier le faux

Le problème d’un outil à l’instar du Decodex du Monde est qu’il peut pousser incidemment le lecteur à renoncer à définir la vérité par son adéquation au réel mais à l’identifier par un biais critère de validité qui n’est pas rationnel, à savoir le caractère officiel du contenu.

Imaginé et développé avec Google, le « Décodex » de la rédaction du journal Le Monde a pour objectif de fournir au plus grand nombre des outils simples pour faciliter la vérification des informations. « Nous avons conscience qu’il ne permettra pas de vérifier toutes les informations qui circulent en ligne, mais nous pensons qu’il offrira à chacun les moyens de discerner les plus évidentes d’entre elles, et d’être averti lors de la consultation d’un site connu pour diffuser de fausses informations.« , prévient l’équipe du Décodex. Reste à se demander qui décodera le Decodex du Monde, juge et partie, lequel s’autorise, au nom de la lutte contre les fake news, à mettre littéralement à l’index certains médias, tels que Valeurs Actuelles ou Russia Today, estampillés d’une pastille violette. Les « avis » que donne Le Monde sur ces sites, catégoriques et sans fondement, c’est à dire dénués d’explications causales, ressemblent davantage à des opinions. Preuve que Le Monde n’est qu’un journal, et ne pourrait avoir le statut d’instance suprême garante du journalisme authentique.

Problème : ce mode opératoire invite le lecteur à une attitude qui est simplement à l’opposée des producteurs et des consommateurs de Fake news : « c’est officiel donc c’est validé, donc c’est vrai » est l’opposé de « c’est officiel donc c’est mensonger donc c’est faux. ».

De plus, parler de la vérité, c’est, qu’on le veuille ou non, ramener la vérité au statut d’une entité prenant part au discours, et c’est ainsi aller à l’encontre de ce que la vérité est, à savoir non pas une partie parti prenante au discours, mais le tout et le fond même du discours.

La catégorie de Fake News nous induit ainsi paradoxalement à s’intéresser moins aux faits eux-mêmes qu’à la notion de vérité, posée comme une valeur absolue qu’il conviendrait ou bien d’ériger en idéal moral, ou à contrario de nier au nom d’un relativisme radical.

Le danger est de croire que c’est chaque esprit qui crée le vrai ou le faux. A chacun sa vérité ! L’esprit crée la croyance, mais une fois qu’elle est là, ce n’est pas l’esprit qui la rend vraie ou fausse, c’est le fait qui rend la croyance vraie, et ce fait ne présuppose pas l’esprit de la personne qui est le sujet de la croyance.

Chercher le faux dans les faits

les 37 médias français qui ont créé la plateforme collaborative Cross Check, soutenus par le Google News Lab et le réseau First Draft, partent ainsi du principe que la vérité n’existe pas hors des faits. 250 journalistes sont invités à Mutualiser leur connaissance des faits et leur travail de vérification sur le site Cross Check. Important : l’information n’est traitée sur le site de Crosscheck qu’à la condition d’avoir été examinée par deux rédactions au minimum.

« Le CSA a-t-il interdit la Marseillaise et le drapeau français dans les clips de l’actuelle campagne ? » est une information à recevoir avec « prudence » avertissent Ouest France, Rue 89 Strasbourg, Buzzfeed et LCI. Même démarche du côté de Facebook depuis le 6 février: «Lorsqu’une publication sera qualifiée de fake news par deux des organisations partenaires, elle ne sera pas censurée, mais signalée par un pictogramme, précise sur Facebook Laurent Solly, directeur général de Facebook France. Huit grands médias français (AFP, France TV, France 24, BFM TV, L’Express, Le Monde, Libération et 20 Minutes) recevront la mission d’invalider ces contenus « fake », qui ne seront plus génératrices de recettes publicitaires au moyen de Facebook ads.

Voir la vérité des fake news

Reste qu’une information, qui est un discours médiatique, ne se réduit pas au contenu à prétention informative : elle est indissociable de sa situation d’énonciation. Autrement dit, qui publie l’info, à quel moment, dans quel média : tous ces éléments, de l’ordre du discours, font partie de ce dont il s’agit de juger vrai ou faux.

informés par la presse, les citoyens Français étaient au courant des manoeuvres pro-Trump et pro-Poutine, pro-FN, pour déstabiliser le candidat centriste Emmanuel Macron. La démarche populaire a été de chercher non pas si les #MacronLeaks disaient vrai sur Macron, mais d’où venait l’information. Les documents n’ont pas été simplement analysés un par un pour être classés comme vrais ou faux, mais interrogés en tant que discours médiatique : un envoi sur le net, par des hackers extrémistes, la veille de la fin officielle de la campagne présidentielle, d’un corpus composé d’une somme de documents numérique à charge contre le candidat d’ « En Marche! ».

C’est ce qu’a su prouver, data à l »appui, à ses 15 000 followers sur Twitter le chercheur belge Nicolas Vanderbiest, qui a réussi à identifier qui était à l’origine du montage (un compte américain de propagande d’extrême droite).

Ainsi, dans la soirée même où ils ont été propagés, les pseudo « Macron-Leaks » ont été interprétés pas seulement comme une « fake news » (les Macron-Leaks regorgeaient de faux) mais comme un discours, un corpus de documents consultables sur le net, qui exprime une vérité : l’acharnement de l’extreme droite américaine et russe contre Emmanuel Macron.

D’où la distance dont a su faire preuve la majorité des électeurs face à ces pseudo « Macron Leaks » jetés pour influencer les masses et renverser le sens du scrutin. Les fake news sont des faux du fait de ce qu’ils prétendent rapporter. Mais, sur le plan du discours, ils expriment une vérité : l’intention des producteurs des contenus faux.

Ce n’est pas celle qu’ils veulent transmettre, mais c’est bien celle qu’il nous faut démasquer pour désamorcer les « fakes » qui pourrissent le débat public.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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