Marlène Schiappa, CAP petite offense

Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes, a annoncé lors d’une audition à l’Assemblée nationale jeudi 20 juillet 2017, travailler avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, à la création d’«un dispositif de validation des acquis d’expérience des jeunes parents». Une idée pragmatique qui est en même temps un acte de néo-libéralisme conservateur.

Banlieues et zones rurales

«Un certain nombre de femmes, notamment dans des banlieues ou des zones rurales, ont eu des enfants jeunes et se retrouvent sans qualification, sans expérience professionnelle à l’âge de 25, 30, 35 ans sur le marché du travail, avec un CV qui est une page blanche, qui n’ont pas de diplôme et qui n’ont comme seul argument dans les entretiens d’embauche que de dire « j’ai élevé mes enfants »», a-t-elle justifié.

« En tant que maman, j’aspire à une validation des acquis de l’expérience en management, comptabilité« , écrit @noujoute1337 sur Twitter.

« Nous sommes en train de voir si nous pouvons transformer cette expérience en CAP petite enfance, en diplôme d’Etat, en brevet d’Etat d’éducatrice de jeunes enfants», a ajouté la secrétaire d’Etat. Elle a ensuite précisé sur Twitter que le dispositif s’adresserait aux «jeunes parents en fin de congé parental qui n’ont ni diplôme ni expérience professionnelle.», a étayé la secrétaire d’Etat. Leur permettre d’accéder sous certaines conditions à une forme de reconnaissance professionnelle de leur expérience peut être perçu comme une volonté de leur offrir un ersatz d’émancipation.

L’idée est de trouver rapidement une solution financière viable à des jeunes non-diplômés ou titulaires de diplômes dévalorisés sur le marché du travail. Et par la même occasion, de les rayer des chiffres du chômage et des amphithéâtres bondés des facultés.

Pourtant, il est discutable de transformer un diplôme, professionnel en certificat de nourrice. Julie Marty-Pichon, coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE) souligne que les métiers de la petite enfance ne sont déjà pas valorisés, sont à 90% féminin, sont mal payés et qu’il n’y a pas de reconnaissance. (Libération, 21/07/17).

De plus, il est implicitement suggéré aux jeunes de milieux populaires, issus des périphéries, peu entourés et conseillés pendant leur adolescence, d’arrêter de prétendre accéder à des études supérieures de qualité débouchant sur des postes de création et de décision. On les incite à rester dans leur milieu d’origine, à produire des enfants (et bientôt même à en porter pour les autres ?) et à faire de cet oecumene un modèle économique à vie. Au lieu de refonder l’Université et de lui redonner sa vocation d’ascenseur social et de diversifier le marché du travail, on risque bien de laisser une partie de la jeunesse de la Nation clapoter dans le désarroi de sa mauvaise fortune.

A l’origine, il est certain que la proposition ne cherche pas à pénaliser les femmes, mais à soulager celles qui sont dans l’impasse.

Mais, sur le long terme, le projet de faire entrer les compétences de la petite enfance dans le giron des affaires domestiques peut avoir un impact négatif sur l’émancipation des filles : les jeunes filles, dans la mesure où elles assument biologiquement la grossesse, sont les premières concernées par le choix de construire une carrière, et avec ça, une vie avec un/e partenaire qui les respecteront, ou de renoncer à s’épanouir sur le plan socio-professionnel, au risque de subir au quotidien le mépris de la société et les traitements aléatoires de leur conjoint(e). C’est pourquoi un tel dispositif visant à primer les parents au foyer peut dissuader des filles de chercher à s’émanciper sur le plan socioprofessionnel.


Flexibilité et mobilité

Cette mesure fait apparaître le point de jonction entre le néo-libéralisme et le conservatisme. Tout d’abord, ce projet, pragmatique, se justifie d’un point de vue conservateur : il ne faut pas chercher à transformer la réalité mais à la garder telle qu’elle est en se contentant de la rendre un tout petit peu plus supportable à ceux et celles qui la subissent.

De plus, fixée au foyer, la femme qui n’a pas les moyens d’être une slasheuse (cumul délibéré de plusieurs emplois) mobile et toujours ouverte à de nouvelles opportunités cessera enfin de réclamer des garanties d’emploi de type CDI, un travail à proximité de son domicile ou des aménagements d’emploi du temps. La flexibilité et la mobilité peuvent alors devenir légitimes dans le droit du travail.

Si le projet portée par la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes venait à se concrétiser, il entraînerait des inégalités croissantes dans la condition des Françaises. Les jeunes filles issues des familles les plus aisées et éduquées, ces millienials girls choyées par leurs parents, qui ont eu accès à des grandes écoles, à un carnet d’adresses bien garni et à des stages en entreprise intéressants, pourront plus facilement confier leurs enfants si elles souhaitent fonder une famille, et ainsi avancer de manière significative dans leur carrière, sans doute bientôt à l’égal de leurs homologues masculins. En un sens, le pari de l’égalité entre les sexes serait gagné. Au prix de laisser une majorité de femmes les genoux cassés sur le carrelage de la cuisine ?

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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