Le but de la fachosphère n’est pas de propager des fake news, mais d’installer un climat de confusion

– ENQUETE –

« Fachosphère, fachosphère », est-ce que j’ai une gueule de fachosphère ? » ironise @CtrlAtltDroite le 10 septembre sur Twitter, pastichant la réplique d’Arletty dans « Hôtel du Nord », un fameux film français, réalisé par Marcel Carné et sorti en 1938.
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La fachosphère, une entité ?

« La #fachosphere , c’est l’alibi inventé par les moutons de la #conosphere pour se donner la sensation d’exister. On a la survie qu’on peut. », rit à ventre déboutonné le polémiste Nicolas Bercoff, auteur de Trump, les raisons de la colère (First Editions, 2016).

Et pourtant, sur le net, la fachosphère existe bel et bien : le terme désigne, dans les médias français, un ensemble nébuleux dans lequel on croise, sur internet, une droite traditionnelle avide de se faire entendre, des proclamés catholiques ultra-traditionalistes, des youtubeurs complotistes et des « identitaires ». Le centre de cette figure est un postulat d’ordre idéologique : une pression migratoire exercée par des populations musulmanes venues d’Afrique, de Turquie, des Balkans et du Moyen-Orient annonce la destruction de la civilisation européenne.

Cette vue revêt un caractère xénophobe car elle passe par la disqualification totale et a priori d’une partie de l’humanité, « les musulmans », groupes supposés culturellement inférieurs aux « Français », « blancs », « européens de souche ». La méthode qui permet de cartographie cette sphère d’influence consiste à analyser les tweets, les retweets et les connexions entre les comptes au moyen d’un algorithme déterminant avec qui les comptes en question partagent le plus de liens. C’est ce à quoi s’emploie le chercheur Nicolas Vanderbiest, assistant dans le département de relations publiques de l’Université Catholique de Louvain où il mène une thèse sur les crises de réputation des organisations sur le World Wide Web dans le Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication des Organisations.

Fake news et règne de l’opinion

Lors des dernières élections présidentielles en France, la « fachosphère » a été à l’origine de la plupart des fake news diffusées sur le net à des fins de propagande politique. Mais, la stratégie des réseaux français issus de diverses mouvances qui vont de la droite traditionnelle à l’extrême-droite est déjà en train d’évoluer : le but n’est plus tant d’asséner de fausses nouvelles, repérables par les médias chargés de les débusquer, que de créer dans la société une atmosphère de confusion généralisée. Le volume de tweets porteurs d’une opinion n’implique pas la justesse de cette opinion, mais reflète seulement l’extension d’une opinion donnée. La fachosphère joue de cette confusion courante entre la vérité et l’opinion du plus grand nombre. Son but n’est pas d’assener une vérité à la manière du doxa, ou d’une « pravda », mais de discréditer toutes les vérités en les faisant passer pour des opinions qui se valent toutes.

Stratégies d’influence

Par quelles stratégies d’influence l’émanation 3.0 de groupuscules d’extrême-droite tels que le GUD (Groupe Union Défense) ou Génération Identitaire a réussi à toucher les 15-25 ans sur les réseaux sociaux ?

Antichambre feutrée de mouvements d’extrême-droite que l’on sait violents depuis des décennies, la fachosphère, du moins sa strate la plus instruite, ne veut pourtant pas être un égout nauséabond où s’entassent des blagues racistes et des appels au meurtre de maghrébins. Elle ambitionne de profiter d’internet pour devenir un courant influent, sinon majoritaire, dans la société.

@grenouillefachee

Medium-52-53-1L’enquête sur Twitter sous le pseudonyme « @grenouillefachee » est à lire dans la Revue Médium, Gallimard, septembre 2017
bientôt disponible en version numérique

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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