« Si j’avais à tolérer les agression et le harcèlement sexuels, voici ce que je dirais »

Billet initialement paru dans la rubrique « Idées » du Monde.

Pendant une dizaine d’années, j’ai eu l’occasion de fréquenter, au sein des sphères de la haute fonction publique, de l’université et des médias de jeunes gens qui entretenaient, souvent à leur insu et non sans cynisme, une sournoise complaisance avec les harceleurs et agresseurs sexuels.

Toutefois, ces représentations appartiennent au domaine de la morale et non du droit, et ne relèvent donc pas du hashtag « #balancetonporc », spécifiquement mis en place à l’initiative de la journaliste Sandra Muller en vue de signaler de toute urgence des faits passibles de condamnation en justice.

Alors, comment rendre compte de toutes ces paroles insidieuses, attitudes malséantes et préjugés sexistes récurants qui favorisent les infractions sexuelles ?
A la manière de Montesquieu, qui dénonçait l’esclavage en mobilisant le registre de l’ironie (De l’esclavage des nègres, Livre XV), si j’avais à tolérer le harcèlement et les agressions sexuels qui ont lieu autour de moi en me plaçant du point de vue d’un trentenaire urbain français CSP ++ [cadres supérieurs et professions libérales], voici ce que je dirais :

1. Je tiens à dire que je suis tout sauf un macho qui nie l’égalité entre les sexes : mon épouse travaille, rentre tard, et je n’aurais pas idée de lui laisser la vaisselle sale et le linge sur les bras. En plus, la personne qui vient pour le ménage à la maison, Mohammed, est un homme.

2. Draguer fait partie de la culture latine. Un simple baiser volé, une petite main baladeuse, c’est un peu AOP [appelation d’origine protégée] ! On ne va pas bousculer toutes nos traditions parce qu’une star d’Hollywood s’est comportée comme un porc.
Lire aussi : Harcèlement sexuel : « Dire “tu aurais dû porter plainte”, c’est encore mettre la faute sur les femmes ».

3. Si on ne peut pas se détendre de temps en temps au travail, les burn-out vont augmenter, de plus en plus d’emplois supérieurs ne seront pas pourvus et cela pourrait même entraîner une fuite des cerveaux, alors que Macron cherche à attirer des talents en France.

4. ll y a des filles qui viennent au bureau avec des tenues sexy qui les exposent à la drague lourde. Elles ont le droit de s’habiller à leur goût, mais doivent aussi anticiper les conséquences. Je ne cautionne pas, mais c’est comme ça.

5. Quand on veut quelque chose dans la vie, il faut insister. Or, les gestes brusques des nanas qui repoussent violemment les mecs qui ont tenté leur chance avec elles sont devenus de plus en plus excessifs et intimidants.

6. Les femmes ont pris l’habitude d’exprimer un refus dès qu’on les surprend parce que la pression sociale les y incite. En fait, cela ne leur déplaît pas autant qu’elles veulent bien le laisser croire : au fond, c’est quand même plus gratifiant d’être désirée que de ne pas l’être.

7. Les femmes nous qualifient sans gêne de « porcs » au vu de tous sur Twitter depuis quelques jours, alors que nous ne pouvons pas les appeler « chiennes » entre copains ou dans la rue sans qu’elles s’en offusquent.
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8. Sur Twitter, certaines filles se plaignent que leur supérieur leur demande une faveur sexuelle et disent qu’elles seraient remerciées si elles ne se prêtaient pas au jeu. C’est abusé, mais cela veut aussi dire que beaucoup d’entre elles finiraient au chômage si on ne leur garantissait pas ainsi de pouvoir garder leur job, condition de leur sacro-sainte liberté. On leur rend service et inconsciemment, elles le savent.

9. Les « threads » #balancetonporc sur Twitter (récits en plusieurs tweets) c’est souvent un moyen que se donnent des filles fragiles pour exister. Si elles avaient subi un vrai traumatisme, ce qui est horrible, elles auraient tout de suite déposé plainte devant la justice, même s’il faut attendre cinq ans pour que le procès aboutisse et que certaines plaintes sont classées sans suite. Leur manque de persévérance montre bien qu’elles ne se sont pas vraiment faites « agresser » sexuellement.

10. Il me paraît indécent de faire un hashtag #balancetonporc pour étaler quelques dérapages, quand on sait que dans certains pays, une femme meurt toutes les heures sous les coups de son époux, et que la plupart des femmes dans le monde n’ont aucun droit de toute leur vie.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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