«Les Observateurs» de France 24 : dix ans de journalisme citoyen

Il y a une décennie, la chaîne internationale francophone France 24 montait un réseau d’informateurs à travers le monde : « Les Observateurs« , site de journalisme participatif et d’information irrigué en « images amateur » vérifiées par l’équipe de France 24.

Le 15 décembre au Tank, à quelques encablures de l’ancienne prison de la Bastille où jadis, l’on pouvait être incarcéré pour avoir exprimé des idées troublantes ou révélé des faits compromettants, Les observateurs, plate-forme de journalisme participatif financée et encadrée par France 24 (Groupe France Médias Monde), fêtait son dixième anniversaire. « Filmer, témoigner, vérifier ». Quatre Observateurs venus du Brésil (Guilherme pimentel), de Guinée (Fatoumata Chérif), d’Arabie Saoudite (Mohammed Al Seedi) et de République Démocratique du Congo (Charles Kasereka) sont venus partager leur expérience du journalisme citoyen.

Les photos, les vidéos et les témoignages publiés sur le site proviennent des 5 000 contributeurs qui travaillent en cheville avec les journalistes de France 24, chargés quant à eux de sélectionner, vérifier, traduire et expliquer chaque contenu avant diffusion éventuelle. « Il est primordial de vérifier l’authenticité des images amateur, car très souvent elles partent sur les réseaux sociaux sans aucun contexte et sans source », a expliqué Derek Thomson, rédacteur en chef des Observateurs. A cette fin, les démarches et les moyens techniques mobilisés sont la recherche inversée via un logiciel, l’usage assidu des réseaux sociaux, et l’appel à d’autres sources sur le terrain pour croiser les données présentées comme témoignages. Grâce à ce souci du vrai, Les Observateurs ont pu débusquer de nombreuses informations fausses.

« Torture des migrants : attention, cette vidéo n’a pas été tournée en Libye !« , par exemple, revient sur une séquence vidéo datée du 14 novembre, après que la chaîne d’information américaine CNN a diffusé des images de migrants venus d’Afrique subsaharienne et vendus aux enchères sur des marchés aux esclaves en Libye. « Dans la foulée de ces révélations, plusieurs images censées montrer des Africains victimes de torture en Libye ont été relayées sur les réseaux sociaux. Parmi lesquelles une scène de supplice, partagée des centaines de milliers de fois sur plusieurs pages Facebook liées à l’actualité africaine depuis samedi 18 novembre, notamment La démocratie en Afrique, Guinée News & Arts, CamBuzz.(…). Mais nos recherches sur Internet révèlent une toute autre histoire…« .
En février 2017, les Observateurs ont rejoint « CrossCheck », organisation de lutte contre les fausses informations, puis l' »International Fact Checking network » en juillet 2017.

Témoins de terrain

On ne va pas envoyer les différents Observateurs en mission, ou leur faire des commandes., a voulu rassurer Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde. Une telle délégation de responsabilités serait de nature à compromettre la sécurité de certains de ces relais citoyens qui n’ont pas le statut de correspondants de presse.

IMG_8971Au quotidien, les Observateurs tirent bénéfice de leur collaboration avec France 24, susceptible d’aborder en amont un sujet sur sa chaîne, et donc de « préparer » ainsi les téléspectateurs et internautes locaux à prendre en considération l’intérêt d’une investigation sur ce sujet. France 24, qui diffuse dans 183 pays en Français, Anglais, Arabe et Espagnol, représente plus de 55 millions de téléspectateurs hebdomadaires à travers le monde. (Chiffres revendiqués par France Médias Monde).

Malgré cela, il est fréquent que les contributeurs prennent des risques à simplement s’attarder sur des sujets que la presse locale n’ose pas forcément investir en profondeur ou même aborder, à l’instar des liens entre la police et les cartels des drogues dans certains pays d’Amérique centrale et du Sud.

Les Observateurs venus célébrer le dixième anniversaire du site reconnaissent avoir subi des pressions, qui parfois ont pu prendre la forme d’intimidations. En Arabie Saoudite, le site des Observateurs a déjà été bloqué pendant plusieurs mois, n’a pas manqué de souligner Mohammed Saeedi, Observateur saoudien.

Indépendance des contenus

« Nos Observateurs ne sont pas des hommes ou des femmes politiques, des PDG de société ou des porte-parole de gouvernement. Ce sont des gens qui vivent et travaillent dans une communauté donnée et qui, très souvent, souhaitent faire bouger les choses », a insisté Derek Thomson, interrogé sur la question de l’indépendance des Observateurs. Marie-Christine Saragosse a exprimé que France 24 faisait preuve d’une constante vigilance sur le caractère indépendant des contenus sélectionnés par France 24.

Toujours est-il qu’un contenu video n’est jamais neutre. Sans être « instrumentalisé » ou « influencé » par un groupe de pression, un citoyen qui tient à consacrer une série d’images à un sujet et détermine seul une angle pour filmer ne peut s’extraire de sa condition sociale : époque, situation politique locale, et à plus fine échelle, lieu où il vit, fréquentations, éducation initiale.

Aux vidéonautes de garder à l’esprit que Les Observateurs est une plateforme citoyenne et non une chaîne TV. Une plate-forme sociale, en quelque sorte, mais bien plus rigoureuse qu’un réseau social généraliste du fait que les contenus sont triés, vérifiés et hiérarchisés, et bien plus « social » que Facebook ou Twitter car les Observateurs agissent non pour générer des « likes » mais pour « faire bouger la société », comme l’a rappelé l’Observatrice guinéenne Fatoumata Chérif (@Fatiiche sur Twitter). Ainsi, l’article « Des Guinéens montrent l’état de leurs routes pour lancer l’alerte » posté par Thierno Diallo, vise à presser le gouvernement guinéen d’améliorer le réseau routier du pays.

C’est dans cette optique citoyenne que depuis mars 2017, Les Observateurs contribuent au site InfoMigrants, fruit d’une collaboration entre France Médias Monde, Deutsche Welle et Ansa.

Le statut intermédiaire de la plateforme, à mi-chemin entre la chaîne de télévision/vidéos et le réseau social, invite les vidéonautes à exercer leur discernement par rapport aux contenus qu’ils visionnent, ce qui passe par un souci de s’informer le plus souvent possible sur les pays depuis lesquels les Observateurs rapportent les faits qu’ils souhaitent mettre en lumière. Ainsi se fait le passage de témoin entre les citoyens Observateurs et les professionnels de l’information et à rebours, entre les journalistes et les vidéonautes.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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