Bac Philo en séries technologiques : l’égalité perdue

Les sujets de philosophie des séries technologiques de cette session du baccalauréat constituent un cas édifiant de discrimination négative. Sous prétexte de traiter différemment les élèves de la voie technologique, c’est leur droit à l’égalité scolaire que l’on a sacrifié.

« Les élèves ne peuvent pas y arriver »

Avant de dire « les élèves ne peuvent pas y arriver », il faut y réfléchir à deux fois. Car sous le prétendu souci des élèves, c’est le renoncement criminel de l’enseignement qui guette. En matière d’éducation, l’idéal n’est pas un horizon facultatif de bonnes intentions, mais l’exigence têtue de chaque cours.

Dans les futurs programmes de philosophie des voies générale et technologique, le nombre des notions sera différent en raison de la différence du nombre d’heures d’enseignement. Mais les 7 ou 8 notions retenues pour la voie technologique, comme la liberté, la justice ou la vérité, seront communes aux deux voies. Ce tronc commun revendique une continuité philosophique entre elles.

Les sujets aussi doivent respecter cette continuité, en l’adaptant au volume de l’enseignement sans doute, mais sans la dénaturer. Or les sujets de la voie technologique de cette année manquent cruellement de simplicité.

La question « Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? » se pose-t-elle ? Dit-on jamais que les lois font notre bonheur ? A quel problème déterminé correspond-elle ? Comment comprendre le sujet « Seul ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ? » ? Veut-on demander aux élèves si ce que l’on échange est seulement ce qui a de la valeur ou si c’est le fait d’échanger qui confère de la valeur à ce que l’on échange ?

La difficulté est d’autant plus grande que, si la notion de valeur peut certes avoir été rencontrée dans un cours sur les échanges, c’est elle qui est ici centrale et non la notion d’échanges qui, elle, fait partie du programme. Quant au texte de Montaigne soumis aux candidats, sa langue seule aurait dû faire renoncer à le proposer. On voudrait faire la preuve que « les élèves ne peuvent pas y arriver » qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Symptomatique de l’inégalité

Le cas le plus symptomatique de l’inégalité entre les voies générale et technologique se trouve dans les sujets de la série STHR (Hôtellerie-Restauration). En voulant guider la réflexion de l’élève, on l’a égaré dans un dédale de questions dans la question. Ces sujets à tiroirs surchargent l’élève le jour de l’examen du travail dont on décharge ainsi l’enseignement dans l’année.

Dans quelle autre discipline les sujets ont-ils besoin d’être béquillés in extremis de fragments de mauvais cours ? À elle seule la taille de ces sujets censés simplifier le travail de l’élève l’aura découragé par avance. Un sujet classique de dissertation cohabite avec un sujet dit de « composition » qui se présente comme une dissertation en kit, ce qui crée, non pas une simple différence mais une inégalité entre deux sujets : le choix existe-t-il entre la dissertation et la composition ?

Et comment garantir l’égalité de notation entre elles ? Une dissertation réussie ne sera-t-elle pas nécessairement mieux notée qu’une composition réussie ? Les questions que ces sujets posent à l’élève regorgent en outre d’implicite (par exemple, on le questionne sur la nature collective ou individuelle du bonheur sans établir le lien aux lois, que la question a en vue) et d’arbitraire (au lieu de le laisser se demander si les lois font ou ne font pas le bonheur, on le perd en lui suggérant l’idée saugrenue que les lois pourraient « défaire » le bonheur).

Sujets en miettes

Ces sujets en miettes conduisent l’élève à produire au mieux une dissertation en morceaux dont les liaisons restent externes. Marque évidente de défiance à l’égard de sa capacité à réfléchir par lui-même. La conclusion qui s’impose est donc qu’il ne faut pas loger dans les sujets d’examen le travail dévolu aux cours.

Quant à la question de la correction des épreuves de philosophie, elle se pose non seulement au niveau des sujets qui doivent être élémentaires, mais encore et surtout au niveau des attentes des correcteurs qui doivent être élémentaires et libérales, c’est-à-dire ouvertes à diverses façons d’entendre et de traiter un même sujet.

La chose n’a rien de surprenant en philosophie : il n’est pas rare en effet qu’un même sujet de dissertation se retrouve à l’agrégation et au bac. Ce qui fait la différence, ce n’est pas le sujet lui-même, mais le niveau d’attente.

Ce rappel de Sartre fixe l’objectif incontournable de tout enseignement philosophique : « Quel que soit le maître, il vient un moment où l’élève est tout seul en face du problème. Personne ne peut comprendre pour moi. »

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Guillaume Pigeard de Gurbert
Guillaume Pigeard de Gurbert est professeur de philosophie en khâgne.
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