Droit de vote aux étrangers : « victoire de la démocratie »

 

 

Droit de vote aux étrangers : modifier la constitution pour remettre la proposition de loi au goût du jour serait une « victoire de la démocratie » selon Esther Benbassa, sénatrice (EELV) et rapporteure de la proposition de loi.

Par Esther Benbassa, La Marseillaise

 

« Accorder le droit de vote aux étrangers serait une victoire de la démocratie »

Esther Benbassa, sénatrice et rapporteure de la proposition de loi au Sénat en 2011

Esther Benbassa, sénatrice et rapporteure de la proposition de loi au Sénat en 2011

 

 

 

 

 

 

Le 8 décembre 2011, le Sénat se prononçait en faveur du droit de vote aux étrangers non communautaires aux municipales. Aujourd’hui, l’octroi de ce droit requiert une modification de la Constitution, soumise au vote des 3/5 du Parlement. Une majorité que tente de réunir Jean-Marc Ayrault auprès des présidents des groupes parlementaires. Mais loin du jeu politique, il y a les réalités que recouvre ce droit. Réalités analysées par Esther Benbassa, sénatrice (EELV) du Val-de-Marne et rapporteure au Sénat de la proposition de loi.

Treize ans après son adoption par l’Assemblée nationale, et deux ans après que le Sénat se soit prononcé en sa faveur, le droit de vote aux étrangers sera-t-il enfin voté par le Congrès ? En 2012, le candidat François Hollande s’y était engagé. « J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers ». Tel était l’intitulé de sa promesse de campagne numéro 50. Une promesse sur laquelle le président a semblé reculer le 13 novembre, soumettant son application à la « recherche d’une majorité » au Parlement. Avant que la surprise ne vienne de Matignon, il y a une dizaine de jours. Jean-Marc Ayrault annonce une consultation des présidents des groupes parlementaires sur les réformes constitutionnelles, dont le droit de vote des étrangers extra-communautaires aux élections locales. L’objectif : obtenir les conditions d’un rassemblement le plus large possible. Car pour certains sujets sensibles, la gauche ne disposerait pas automatiquement de la majorité des trois cinquièmes du Parlement, nécessaire à toute révision de la Constitution. Reste donc à convaincre une partie des parlementaires de la légitimité de ce qui représente aux yeux de la sénatrice Esther Benbassa et de nombreux militants des Droits de l’Homme une victoire de la démocratie.

 

Vous avez été la rapporteure de la proposition de loi au Sénat en 2011. Aujourd’hui, où en est-on ?

La situation commence à bouger. Si le gouvernement, qui jusque-là s’était mis en retrait, y met du sien, nous y parviendrons. Nous irons convaincre un par un les parlementaires pour parvenir aux 3/5e. Le gouvernement a pris conscience de l’importance de ce projet. Je pense qu’il est temps d’y revenir.

 

Alors justement, cela ne correspond-il pas plutôt à un temps électoral qu’à une volonté…

Il est vrai que l’exécutif prend un nouveau tournant sur des thèmes comme le mariage pour tous par exemple. Peut-être est-ce là le constat de l’impossibilité de changer la donne économique du jour au lendemain… Alors pour le moment, amorcer ce tournant, c’est comme mettre du baume au cœur du peuple de gauche qui était déçu que le gouvernement ne s’attaque pas aux questions sociétales qui faisaient partie du programme du candidat François Hollande.

 

Quel est le contenu de cette proposition de loi ?

Le droit de vote aux élections locales et d’être éligible au sein des conseils municipaux aux étrangers non-ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Le nombre d’années de séjour n’a pas encore été fixé puisqu’il y aura un décret d’application. Aujourd’hui, il n’ y a pas de raisons pour que ceux qui habitent avec nous, qui travaillent avec nous, qui envoient leurs enfants dans nos écoles, ne participent pas à la vie de la commune. Ce droit est un droit simple qui d’ailleurs a déjà été donné aux étrangers communautaires puisqu’ils peuvent voter aux élections locales et européennes. Je ne comprends pas cette discrimination à l’égard des étrangers non-communautaires. Il est nécessaire de rétablir le droit à l’égalité de tous ceux qui contribuent à la vie de la cité.


Que répondez-vous à ceux qui invoquent le fait que la citoyenneté ne serait pas dissociable de la nationalité ?

En tant qu’historienne, la nationalité et la citoyenneté ne sont pas des entités qui ne peuvent pas bouger. On peut être citoyen sans avoir la nationalité française. On peut être un citoyen résidant et ne pas être français. Il ne faut pas confondre nationalité et citoyenneté. On n’est pas obligé d’être citoyen national, on peut être citoyen résidant. C’est un concept qui existe.
En économie ou encore sur la toile, les frontières ont disparu. Nous avons dépassé ce nationalisme lié au sang, aux morts et au terroir. Dans notre vie quotidienne, au travail, les immigrés font partie de notre univers mais quand on doit partager les droits, on leur dit non ? Il y a là un vrai problème. D’autant que dans de nombreux pays européens, les étrangers peuvent voter.


Les adversaires du droit de vote aux étrangers invoquent le risque d’un vote communautariste. Qu’en pensez-vous ?

Pourquoi y aurait-il un vote communautariste ? Vous croyez que tous les Français votent de la même façon parce qu’ils font partie de la communauté nationale ? Non ! Chacun vote en fonction de sa propre histoire, de ses opinions, de ses revenus… Il n’existe pas de communauté nationale qui vote entièrement à gauche ou à droite ! On ne va pas maintenant dire que tous les étrangers vont voter d’une manière communautaire. Ce sont des considérations qui relèvent, à mon avis davantage du fantasme. Avancer cet argument, ce n’est pas connaître ce qui conditionne une personne pour voter. Dans l’isoloir on est seul. On ne fait pas partie d’une communauté.

Pourrait-on voir dans ce refus des réminiscences du passé colonial de la France ?

Je ne sais pas. Mais il est vrai que l’étranger est parfois considéré dans notre pays comme disons « l’inférieur d’antan ». Celui qu’on a colonisé, celui qui était sous le régime de la métropole et à qui on n’a pas donné de droits. En 1870 par exemple, on aurait pu penser que le décret Crémieux aurait accordé la nationalité française aux Arabo-musulmans d’Algérie. Cela n’a pas été le cas. A l’époque, il y avait une citoyenneté à plusieurs vitesses. Aujourd’hui encore, on est encore un peu dans cette perspective.


Quel serait l’impact d’une telle loi ?

Je pense que ce droit de vote apaiserait en partie la rancœur de ceux que l’on considère comme inférieurs. C’est à mon sens une manière d’intégrer. On demande aux étrangers de s’intégrer mais sans jamais leur donner de droits. Et il n’y a pas d’intégration possible dans un seul sens. Celui qui reçoit, le pays hôte doit aussi savoir intégrer. Peut-être est-ce un moyen d’éviter ce repli des populations qui habitent avec nous, qui travaillent à nos côtés et pour nous… et qui sont stigmatisées.

 

Selon les derniers sondages, l’opinion publique ne serait pas favorable à l’octroi de ce droit. L’opposition également monte au créneau. Pensez-vous que les débats vont être difficiles ?

Ils ne l’ont pas été au Sénat. Et l’Assemblée nationale est majoritairement à gauche. Le problème n’est pas là. La question est qu’il s’agit d’une loi qui modifie la Constitution. Et dans ce cas, ou vous avez recours au référendum, ou vous obtenez les 3/5e des voix des parlementaires. Si le gouvernement montre une volonté forte d’y parvenir, je crois que les parlementaires l’aideront à obtenir ce résultat. Quant à l’opinion publique, elle est toujours un peu fluctuante. Elle l’était d’ailleurs pour la reconnaissance de ce droit il y a quelques mois. Il faut dire que le gouvernement précédent a tellement tapé sur l’étranger, qu’on peut très bien comprendre qu’il y ait des réticences. Mais les sondages sont ce qu’ils sont.

De notre côté, au sein du groupe des Verts, nous sommes très fiers de porter cette proposition. Et nous continuerons à nous battre. Nous avons lancé une pétition et nous n’allons pas laisser les choses retomber. Nous sommes là pour que cette loi puisse passer et nous ferons de notre mieux pour aider le gouvernement dans cette tâche.

 

Que représenterait pour vous l’adoption de ce texte ?

Je suis professeure des universités mais aussi une militante associative. Et je mène une mission d’information au Sénat sur la lutte contre les discriminations. Je serais fière que la démocratie française puisse supprimer cette discrimination entre les étrangers communautaires et non-communautaires. Ce serait un signal d’intégration. Et pour nous qui nous battons depuis des années pour l’égalité des droits, une véritable avancée. Et je me dis qu’une des façons d’éviter le communautarisme, c’est de donner ce droit de vote qui responsabilise. Jusqu’à maintenant on a pu dire : les descendants d’immigrés ne votent pas. Mais pourquoi s’abstiennent-ils ? Ces étrangers qui viennent bien souvent de pays non démocratiques n’ont jamais voté. Leurs enfants n’ont jamais vu voter leurs parents en France non plus. Alors comment voulez-vous instaurer la démocratie et convaincre les descendants d’immigrés qu’ils sont des citoyens à part entière et des nationaux, s’ils ignorent à quoi sert le vote ? Le « Tous pourris », ce n’est pas de la politique ! C’est une idéologie qui mène à l’extrême droite et dont nous ne voulons pas. Je veux vivre avec des citoyens nationaux, des citoyens résidents avec qui je partage mon quotidien. Accorder le droit de vote aux étrangers serait une victoire de la démocratie.

Entretien réalisé par Sandrine Guidon

The following two tabs change content below.
Farouk Atig
Farouk Atig, ancien grand reporter, conférencier et enseignant, dirige Intégrales

Vous pouvez également lire