Vidéos d’archive en ligne : le temps perdu

Du temps retrouvé en un rien de temps, ces brèves séquences qui nous rappellent le passé ? Que ce soit les vidéos de l’INA, de Bored Panda ou de Brut, les séquences issues du passé, segmentées, comprimées, nous font-elles en même temps remémorer et oublier le passé ?

L’offre pléthorique de formats vidéo courts en ligne à l’instar de Brut, d’AJ+ en français ou encore de Now This a fait se dessiner une tendance : celle de la convocation d’élements d’archives historiques pour éclairer le présent. Les polémiques qui secouent le présent immédiat auraient une origine dans un passé relativement proche (un passé où existait déjà la photographie et la vidéo pour fixer les événements). Si l’idée paraît intéressante, la démarche repose sur plusieurs présupposés implicites. D’une part, celle que le présent est la suite linéaire d’un passé dont on a bien voulu sélectionner certains éléments plutôt que d’autres, et d’autre part, que les instants du passé prélevés dans les vidéos sont des documents authentiques, de même valeur que les archives que l’on trouve dans des lieux autorisés où elles sont vérifiées scientifiquement (musées, écoles, fondations…).

Par exemple, la vidéo de Brut qui présente le projet d’installation d’une centrale solaire à Tchernobyl comprime trente ans d’histoire de l’évolution du site radio-actif en quelques séquences de moins d’une minutes. La retouche, qui consiste à réécrire pour parfaire, est un procédé fréquemment utilisé par les sites de video natifs. Ainsi, les portraits hagiographiques de figures convoquées dans le but de servir de modèle pour le temps actuel, à l’instar de Simone de Beauvoir sur Brut rappelée en grand secours en pleine affaire Harvey Weinstein, éludent toutes les aspérités du personnage et des obstacles auxquels celui-ci a pu se confronter.

On ne retient que le caractère célèbre du personnage, c’est à dire sa permanence dans le temps, soit sa résistance à l’oubli ; mais paradoxalement, cette redondance du caractère permanent du personnage se fait au prix de laisser le vidéonaute oublier des éléments importants qui permettraient de mieux connaître le personnage en question.

L’INA et son partenaire FranceInfo pratiquent fréquemment l’expansion dans leurs brèves vidéos embarquées sur les réseaux sociaux. La suite de contenus d’archives relatives à un sujet est étoffée de contenus de passages nouveaux. C’est le cas par exemple de «Lingerie, la révolution du collant2» : s’enchaînent une série d’archives de l’ORTF au sujet de l’invention et de la commercialisation des bas nylons, puis vient un extrait de reportage récent dans l’usine DIM. Le procédé, utilisé à des fins pédagogiques par l’Institut National de l’Audiovisuel et la chaîne publique FranceInfo, vise à faire comprendre au vidéonaute le passé de ce qui est actuel. L’histoire d’un produit est perçu par le vidéonaute contemporain de manière téléologique, sans même que ce dernier en ait conscience et soit en mesure de discuter cette approche.

Sur Twitter, les références au passé visent à partager des fragments de la mémoire commune. Il s’agit souvent de citations fameuses d’hommes politiques, de reprises de passages de films cultes ou d’extraits d’oeuvres littéraires majeures. Il est remarquable que transposées sur le réseau social, ces moments sont aussi restitués via des procédés d’écriture (texte, image, GIF, vidéo) qui contribuent à l’oblitération de la mémoire : le meme mélange deux supports picturaux, moyennant l’oubli de l’authenticité non seulement de l’image parodiée (une photo officielle du président de la République, par exemple) et l’oeuvre d’où est extraite le meme.

Les rythmes de l’innovation technologique et l’obsolescence des objets industriels réduisent en effet la durée de vie des mémoires matérielles à mesure qu’ils en augmentent les vitesses et les capacités. « Sans une rotation rapide et continue des données, les stocks sont donc menacés : en hypersphère3, conserver ne signifie plus fixer, mais dupliquer, circuler, recycler. », nous avait prévenus Louise Merzeau dans “Faire mémoire des traces numériques”, E-dossiers de l’audiovisuel, Sciences humaines et sociales et patrimoine numérique, mis en ligne en juin 2012.

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Clara Schmelck
Clara-Doïna Schmelck, journaliste, philosophe des médias. Rédactrice en chef adjointe d'Intégrale - est passée par la rédaction de Socialter ; chroniqueuse radio, auteur, intervenante en école de journalisme et de communication (Celsa ...).

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